Regards

Au-delà des étoiles

Le paysage mystique de Monet à Kandinsky

Les expositions de notre temps ont décidément vocation à nous interroger de manière originale ; elles nous présentent des œuvres et attendent notre réponse.

Le Musée d’Orsay a été constamment en pointe dans cette attitude, pour ne pas dire qu’il l’a initiée. Pour l’ultime exposition de son règne, Guy Cogeval s’est orienté vers les confins.

Il s’adresse à notre âme et il est parti pour ce faire chercher les artistes à vocation mystique (explicite ou pas) de la modernité, singulièrement parmi les Symbolistes et les Nabis.

La question posée : face à la déshérence de la religion ou à la simple contradiction entre la civilisation industrielle, les concepts nouveaux et la tradition, quelles ont été leurs réponses, leurs esquives et leurs découvertes ?

Les mouvements symbolistes et -ou puis- nabis sont nés à la fin du XIXe siècle, à partir de 1885 à peu près. Ces désignations ont de l’intérêt, car ces « écoles » se voulaient des « mouvements » englobant les individus, les conceptions et techniques artistiques, les idées, les textes théoriques, bref emmenaient par la main les jeunes gens qu’elles regroupaient. Très caractérisés, ces mouvements ont déclenché des courants artistiques importants et internationaux, plus tard mille recherches et expositions mais curieusement remarque Guy Cogeval dans son texte de présentation « Haute Solitude » personne ou presque ne s’est intéressé à leur contenu spirituel pourtant essentiel. Ces jeunes gens qui se sont souvent dispersés ensuite étaient des idéalistes

On décrit ici cette période sous l’angle du « Mysticisme » Soit. Panthéisme aussi du moins à l’origine.

Peut-on classer le Mysticisme ? Il faut, rappelle l’auteur, faire avec l’adage malicieux de Max Ernst : « Le vrai artiste, qui s’est trouvé, s’est perdu. »
Il instaurait dans la période, avant tout, face sans doute à la civilisation industrielle envahissante, un retour affamé vers la nature, ultime recours, voire la vie sauvage (Pont-Aven puis Papeete pour Gauguin).

Il est ici question de paysages ? « Le paysage n’est (alors) plus pour l’artiste un état d’âme mais l’état d’âme devient un paysage. Les lieux se parent d’une inquiétante étrangeté. » ajoute Cogeval. D’autant que nombre de ces artistes, d’origine nordique (pays scandinaves et important contingent canadien) se tournent volontiers vers la représentation des grands espaces du Nord, enneigés et couverts de forêts. Ils s’interrogent naturellement sur le rapport de l’homme et de la nature (là où l’homme ne va pas ?). Visions d’étranges phénomènes naturels -et lumineux- aurores boréales, tempêtes magnétiques, lumières spectrales, reflets d’espaces neigeux infinis etc. Dans cette Nature plus ou moins vidée de ses divinités, de ses mythologies et de ses allégories par la Modernité, dans ces espaces gigantesques si l’homme s’avise de se montrer ce sera pour illustrer sa propre insignifiance.

Le regard de l’artiste se mue peu à peu en contemplation qui, l’inquiétude humaine aidant, le mène à rechercher dans le monde « réel » une transcendance à venir, à condition d’en trouver la clef.

Ainsi conçu le thème de l’exposition semblera-t-il s’être lancé à la recherche de ses œuvres en lieu et place du probable contraire !
Il faut le dire : l’accrochage est fulgurant.

Si les meules de Monet, qui se trouvent à l’origine de l’itinéraire, changent de lumière à chaque heure du jour, n’est-ce pas, de notre existence, la faculté de percevoir l’immanence humaine à la Nature, le prélude à cette démarche mystique au-devant de laquelle nous allons cheminer ?

La Nature ? Elle est protéiforme : elle recèle le Divin et le laisse entrevoir par la sensibilité de ses adeptes : le cabinet consacré aux méditations de Dulac (1865-1898) condamné par la maladie à une lente consomption qui le retrouve à travers des paysages apaisés, des sites sacrés, déserts, où le soir survient ou l’aube.

La Nature en colère dans la tempête ou le cataclysme, ou bien la Nature extrême des horizons polaires dans le ciel nocturne de l’hiver, le Soleil éblouissant de Munch, ce sommet de l’art du Nord, totem de la Norvège. Solitude et silence…

Le ciel, tel qu’alors il peut se lire, au plus profond de la nuit.

La Nuit des villes des Flandres, de Bruges la Morte ou des réverbères du Parc de Bruxelles.

La Nature dévastée que ce soit dans les désastres qu’elle s’inflige à elle-même ou les paysages ravagés de la guerre par la folie des hommes.

La Mystique enfin des artistes qui regardent l’Au-Delà, qui refont le Cosmos et l’imaginent à leur usage, jusqu’à celle-là qui par testament a voulu garder secrètes certaines de ses œuvres jusqu’à vingt ans après sa mort, convaincue que les hommes ne seraient pas auparavant capables de les comprendre.

Voilà ce que vous trouverez dans cette exposition et bien d’autres choses encore, bien peu connues jusqu’ici, qui relèvent de la Mystique qui est la vôtre, en deçà ou au-delà des Etoiles.

Henri-Hugues Lejeune

Musée d’Orsay
Du 14 mars au 25 avril 2017