Regards

Ben au Musée Maillol

Par Henri Hugues Lejeune

Il est fameux, tout le monde le connaît.

Qui est, quel est Ben ? La réponse à cette question, l’intéressé a passé sa vie à la chercher et surtout à le faire savoir. Quid de l’art aussi par la même occasion puisqu’il est artiste, ou veut l’être. L’incessante recherche en est impertinente, drôle, angoissée aussi. Il cherche en tous sens et serait, finalement, bien en peine de trouver. Même si l’on y rajoute la société, la sagesse, la vie, l’amour, tout ce que l’on veut bien y mettre.

Et voici que notre baladin est l’objet d’une grande rétrospective à l’occasion de la réouverture, après travaux et réorganisation, du Musée Maillol.

Il a plus de quatre-vingt ans, il se cherche toujours et vise à faire parler de lui le plus possible, artiste très à part s’il n’est pas unique, universellement connu, s’il n’est pas toujours apprécié et tellement significatif et exemplaire du temps présent dont il est le produit éclatant.

Ainsi est-il évident qu’il a réussi son pari car il est un joueur ou il l’est devenu.

Un joueur ou un artiste ? Ici encore l’interrogation est de mise.

Il y a mis le temps : toute notre vie et la sienne.

Il a inlassablement égrené ses paradoxes troublants, évidents ou ambigus ou agaçants ou tout ce que l’on voudra, sauf de ne pas être intelligents. Nous les avons vus partout : c’est un fait. Brefs, sans fioritures. Des slogans de lui-même.

Ses interrogations, vraies, fausses évidences ? Inattendues surtout et singulières.

Noir sur blanc, blanc sur noir, du jaune parfois comme le sourire, tout ce qui lui passe par la tête.

L’on pourrait indéfiniment égrener ce type de description ou de jugement en des propos à double sens comme il le fait lui-même. Inlassable, inclassable, son œuvre est énorme.

La conclusion ? De par son ambiguïté inquiète, il est tellement représentatif de notre temps que nous ne saurions nous passer de lui s’il ne s’était inventé, donc nous devons le saluer, lui et son originalité et étudier ce qu’il a voulu faire ou voulu être et savoir s’il y est ou non parvenu.

Il a la réputation d’avoir un ego énorme (est-ce si rare ?) ce qui serait la vraie cause de ce que sa principale préoccupation, c’est lui. Et lui simplifierait le travail.

Sa démarche artistique est tout-à-fait claire, il se réclame d’une mouvance à tout le moins une ascendance surréaliste, dans le sillage de Duchamp, de l’école de Nice à laquelle il se veut fidèle-il y a toujours sa base d’ailleurs- et des gens du groupe Fluxus. A la seule différence toutefois que chez ceux-là, couleuvres notoires, la création est accessoire du comportement alors que lui travaille inlassablement, sous des rubriques, des démarches, dans des « familles » de créations (ici l’on n’en dénombre pas moins de neuf), des œuvres , mais oui très clairement et distinctement définies ici il faut le dire, logiques si elles sont passablement déglinguées, qui se succèdent, s’emboîtent, se répondent.

A côté donc d’œuvres insolites, très originales plus souvent qu’à leur tour, qui jalonnent son parcours çà et là, plus ou moins fréquentes, selon l’humeur du moment, fourmillent les fameux aphorismes, écritures, polyglottes s’il lui plaît, qui ont fait l’essence de sa célébrité.

Alors bien sûr, il ne sera pas coté, recensé, commercialisé sur les mêmes rails que ses confrères.

Mais il sait faire à sa manière, faites-lui confiance : il est le commerçant, le « créateur le plus ordonné de la terre : il patronne toute notre papeterie, des plus sérieuses. Cahiers et carnets de notes, éphémérides, boîtes, étuis et cartonnages en tout genre. Il est ainsi, et cela fait part de sa modernité, designer et marque de fabrique.

Voici en résumé tout ce pourquoi, à notre sens, l’artiste et le phénomène Ben est à ce point de notre époque qu’il convient d’y réfléchir et de visiter son exposition, entre admiration, bonne humeur-son humour bien que totalement « égocentré » est indéniable-curiosité, admiration pourquoi pas, un brin d’agacement peut-être, si l’on s’intéresse à ce qu’est notre temps. N’en sommes-nous pas les témoins, les responsables sans doute ?

Artiste certes, Ben l’est. De quel art, quel est-il et l’art de nos jours en général ?

J’espère et lui aussi sans doute qu’il laisse le problème entier.

Au Musée Maillol du19 septembre 2016 au 19 janvier 2017