Regards

Cold War

Par Pascal Aubier

On y est. Comme je vous le disais il n’y a pas longtemps, les titres des films qui sortent en France sont en Américain, quelque soit leur origine. Rappelez-vous, Every Body Knows, I Feel Good et tant d’autres. Ici, nous avons affaire à un film Polonais, et non des moindres. Cold War veut dire Guerre Froide, comme si on ne savait pas ce que c’était. Ce ne sont pourtant pas les Polonais qui ont choisi cet Anglais. En polonais le titre est Zimna Wojna, la Guerre Froide, glacée précisément. Ce sont nos distributeurs Modernes qui sont américanisés. Ou Macronisés, puisque tout semble l’être devenu. Sans parti pris. Moi j’étais plutôt du genre coco quand on avait encore des espoirs. Plus d’espoir, plus de cocos, mais plein de Macronistes. Bon, c’est comme ça, on ne va pas épiloguer, on est là pour parler de cinéma.

Le film reçoit une critique tiède et mitigée ici à Paris. On lui reproche une absence d’empathie pour ses personnages. Ce qui est très faux. La retenue, la pudeur, la volonté de nous raconter une histoire a la Roméo et Juliette sur fond de Pologne et de Paris des années 50, ne retient pas l’émotion. Au contraire. Elle dramatise l’histoire d’amour qui est une très simple histoire d’amour. Le drame, c’est la société, les sociétés de ces années, qui empêchent, qui condamnent ce coup de cœur et qui entraînent les jaloux à voler les amoureux. Simple oui, mais compliquée par les frontières brutales.

De jeunes gens sont sélectionnés par le Parti Polonais pour former un groupe de chanteurs et danseurs folkloriques nommé Mazurek, comme la grande monteuse et qui signifie à peu près « ceux de la Mazurka ».

Pawel Pawilowski, le réalisateur déjà de Ida, commenté ici l’année dernière avec enthousiasme, manie le cadre et le Noir et Blanc d’une main et surtout d’un œil de maître. C’est fou ce que c’est beau, le Noir et Blanc. Et le cadre qui nous conduit de l’intimité aux grands spectacles. Très beau, oui, très.

Mais la belle surprise, ce sont les acteurs. Et surtout pour moi qui aime les femmes à n’en plus finir, Joanna Kulig, l’époustouflante Juliette de notre romance, qui joue, chante et danse comme une adorable fiancée rêvée.

Joanna Kulig
Joanna Kulig

Pas d’empathie, dit ce critique parisien ? Le désir, l’amour qui naît sous nos yeux si discrètement, qui se révèle dans la brutalité, qui se débat avec les interdits, avec les rêves à peine osés devraient nous plonger dans l’empathie ? C’est un peu court, comme point de vue. La très belle Joanna estconquérante et tenace. Son homme, Tomasz Kot, qui est aussi son mentor, son chef d’orchestre, a soif d’Occident, soif de Paris, de musique et de liberté. Elle, elle a surtout soif de Thomasz, le reste lui brise un peu, beaucoup, de son élan amoureux. La vie de bohème du Quartier Latin ou celle du Stalinisme écourteur, si bien chanté par les Mazurek, ne sont pas les seuls opposants à son amour. Elle boit comme une Polonaise, c’est dire beaucoup, mais joyeusement, elle se moque de la gloire à la Française offerte par son Tomasz qui lui produit un disque qu’elle jette dans la rue. Les filles ne voient pas les mêmes choses que les garçons. Il veut quitter son pays socialiste, la convainc de venir avec lui, mais elle ne s’y résout pas. Elle sent, dit-elle plus tard que « ça ne marchera pas ». Elle vient en tournée à Paris, et retrouve son amoureux, mais ne se résout toujours pas à rester. Il va finir par retourner en Pologne pour retrouver son amoureuse. Et Il prendra quinze ans de Goulag Polonais. Elle l’en fera sortir, mais à quel prix… Je ne vais pas tout vous raconter, vous serez bien plus heureux de découvrir ça au cinéma où je vous convie à vous engouffrer à la première occasion. Péripéties, déchirements, désastres, le couple ploie, mais ne se brise pas. Enfin. Je ne peux résister au bonheur de partager ici le dernier plan du film. Le cadre, la lumière, un arbre au bord de la route et un banc. Les amoureux sont allés se marier dans une église démolie. Ils sont seuls. Ils veulent en finir. Ils s’assoient sur le banc. Ils attendent que la mort qu’ils ont commandée les entraîne. Au bout d’un moment silencieux, Joanna suggère de s’installer de l’autre côté de la route d’ou le paysage est plus beau . Sortie de champ. Fin.