Regards

La ruée vers l’art

Par Pascal Aubier

Décidément, je n’arrive pas à me mettre un mauvais film sous la dent. Pourtant il en sort des tas. On me les fait éviter. Je suis embarqué vers des rivages ensoleillés et clairs ou brumeux et terrifiants. Et ce ne sont pas ces derniers qui sont les moins passionnants, soit dit en passant.

Le 16 octobre sort en salle (deux salles, l’Arlequin, rue de Rennes, Paris 6è et au Majestic Bastille) La ruée vers l’art de Marianne Lamour et les auteurs de cette enquête édifiante, Danièle Granet et Catherine Lamour. Edifiante oui, pour tous ceux qui aiment et recherchent l’art contemporain là ou il se trouve, chez las artistes, dans leurs ateliers, dans les galeries et les foires en tout genre. Édifiant parce qu’au fond le marché de l’art tel qu’on le connaissait depuis bon temps semble s’être rétréci du fait de la naissance d’un marché plus secret, plus caché et formidablement plus riche. Ce n’est pas nouveau disent certains. Non, ce n’est pas nouveau nouveau, les affaires se traitent depuis une quarantaine d’années, mais ce qui est nouveau c’est que ces trois femmes ont eu l’outrecuidance de pénétrer ce monde fermé ou la spéculation a pris un pouvoir définitif.

L’Art Globalisé, art contemporain ou art spéculatif ? On se le demande bien sûr et ce que le film dévoile sans avoir l’air d’y trop toucher c’est comment et pourquoi certains artistes se vendent des millions en marge d’un marché affecté par la crise et le marasme. On y voit soudain un peu plus clair. Ce que l’on voit en grandeur réelle c’est que certains artistes ont le sens de ce qu’il faut faire en matière de fortune et d’autres pas. Comme au cinéma. Il y a Hollywood, Luc Besson et Tonino Benacquista puis les autres qui surnagent quand ils ne coulent pas. Des artistes et leurs associés, ces collectionneurs d’outre monde. Question de tempérament. Jef Koons par exemple, ancien trader qui vire à l’art en faisant monter sa cotte à toute allure sur un marché spéculatif florissant hors des regards publics. Nonobstant ce qu’il fabrique, ce qu’il créé ou ce qu’il lance si bien. Le formidable bienfait du film de Marianne Lamour c’est de nous dévoiler un peu comment marchent ces choses. Comment marche le marché où l’on retrouve Arnault, Pinault, Berger, Gagosian et quelques autres mystérieux milliardaires enrichissants. On part autour du monde entrevoir les rouages impeccables de cette machine. La plupart des milliardaires collectionneurs refusent les questions et les caméras. Trop occupés. Peu enclins à la publicité d’un marché qu’ils contrôlent totalement. Mais la complicité trouvée auprès de certains, à force de finesse et d’intelligence permet de dévoiler en partie la scène cachée. Et on en sort abasourdi, effaré. Écœuré. On essaye de ne pas se désespérer. On pense à l’art qu’on aime, aux artistes que l’on admire. On se dit qu’on doit résister. Comment ? A quoi ? De toute façon, nous ne sommes pas dans la cour des grands. On verra bien. En tous cas le film de Marianne Lamour est un film engagé comme on s’engage de moins en moins aujourd’hui. Sa caméra légère, discrète et perçante frôle le virtuose. Le documontreur est de retour dans les salles. Allons-y vite.