Regards

Le Caire Confidential de Tarik Saleh

Par Pascal Aubier

Bon, voilà un film qui va vous faire un peu de bien.

Un film noir, mais qui, à l’inverse de L.A. Confidential que vous avez peut-être vu et qui tourne à deux cents à l’heure la violence à l’américaine, est un film doux, lent, terrible, mais lent comme lorsqu’on marche tranquillement perdu dans ses pensées.

Perdu dans ses pensées, mais aussi dans le monde corrompu à l’extrême de l’Egypte de Moubarak en 2011.

Faire un film d’époque sur 2011. Super plan. L’époque, le printemps Arabe, l’espoir affrontant l’ignominie, l’armée et la corruption tentaculaire.

Le héros, au long nez emmanché d’un petit cou est un flic, commandant même, qui prend le pognon quand il se présente et dont le chef est son propre oncle. Et puis une fille jolie comme un coeur se fait assassiner dans l’Hôtel Hilton où elle a eu tort de se faire son riche amant nomenclaturé.

Je ne raconte pas le film, je ne parle pas de la petite femme de chambre négrillonne du Soudan qui a vu ce qu’il ne fallait pas voir, ne de l’embrouillamini des pressions qui pèsent sur le dos de notre commandant. Presque autant de tués que dans L.A. Confidential, mais pas les mêmes, pas pareils, plus arabe, plus touchant parce que touchant plus le monde dans lequel ces gens vivent, dans lequel, il n’y a pas loin, nous vivons.

L’argent, le pouvoir, rien de nouveau, mais qu’est-ce qui anime soudain ce flic au long nez, lui-même corrompu comme il faut à son niveau de croisière ? La voix de la chanteuse assassinée, la beauté de son amie prête à toutes les trahisons ? On ne sait pas. On le suit qui enquête, seul dans sa vieille Peugeot. Qui découvre des enchevêtrements complexes entre nomenclatura chic et saloperies d’Etat. Un truc dur.

On le nomme colonel pour le dissuader de continuer à marcher sur des pieds sensibles. Il persiste.

Tout ça dans une ville qui gorge de poussière et de bruit, de racisme et de lucre généralisé. En 2011 on ne parle pas encore beaucoup de terrorisme islamiste meme après l’attentat des Twin Towers. Cela va venir pourtant. Sur le dos du mouvement qui veut se débarrasser de la dictature qui a tout corrompu.

Relisez les livres sublimes de notre cher Albert Cossery, les mendiants dans la valée fertile, notre Egyptien de Paris, qui vivait à l’hôtel Louisianne et s’abreuvait au Café de Fore que d’aucuns connaissent si bien. Il décrivait, faisait vivre une Egypte bancale et formidablement humaine. On retrouve cette humanité chez Tarik Saleh qui cerne son pays en l’aimant plus que tout. Tourbillon, poids énorme de traditions monstrueuses et si ordinaires.

Le flic, le nouveau colonel va découvrir que son oncle et chef est impliqué jusqu’au cou dans l’horreur qu’il tente de mettre à jour. Une morale, en quelque sorte, Monsieur de La Fontaine. Et une horreur vraie. Celle que nous reconnaissons, nous qui vivons dans nos allées simplistes de l’Occident.

Pour se sauver avec les millions touché pour ses crimes de mise à disposition, l’oncle le balance dans la foule manifestant en le dénonçant comme flic.

Roué de coups, il va survivre. Des manifestants vont intervenir : “Nous ne devons pas faire comme eux.”

Il va survivre, mais comment ? Et la Révolution Arabe, elle ne survivra pas. C’est clair. On l’a vu on le voit tous les jours..

Et vous pensez encore à Toutankamon, ?

Beau film dans le désert ambiant.