Regards

Léonore Confino,

La Tête dans l’Eau, pour mieux respirer les mots.

Ma toute première rencontre avec Léonore Confino… au théâtre des Mathurins, à l’occasion du lancement de la 5ème édition du Paris des femmes 2016. Un festival où s’épanouissent autour d’un thème imposé, des plumes exclusivement féminines. Ce jour-là, à tour de rôle – comme une mise en bouche – les auteures y présentaient leur déclinaison théâtrale de « Crimes et Châtiments ». Pour Léonore Confino, tout est parti de cette date du 7 janvier, lorsque ces artistes furent brutalement interrompus alors qu’ils ne faisaient que leur travail. D’un coup, on ne les autorisait plus à exercer leur métier. Dans sa courte pièce Ouverture, Léonore Confino choisit le même angle thématique; un comédien coupé net dans sa représentation par un spectateur qui le rejoint sur scène. De cette situation émergera un tas de questionnements.

De Building à Ring, les uns sur les autres et plus récemment le Poisson Belge avec Géraldine Martineau et Marc Lavoine au Théâtre de la Pépinière, Léonore explore à chaque fois une part d’elle de l’intime qu’elle met ensuite en mots. Son processus créatif est tout en nuances et en saveurs, une vision unique. Comment cet esprit pétillant transforme ce qu’elle voit, lit, explore aussi en elle, en pièces de théâtre ? Pour essayer d’en savoir un peu plus, j’ai retrouvé, quelques jours plus tard, avec un plaisir gourmand, celle qui se dit moins intellectuelle qu’amoureuse de mots, celle qui rêve de travailler un jour avec un Michel Gondry, au café de l’Usine dans le 12ème… Et voici ce qu’elle a répondu à mon impatient : Comment Léonore Confino écrit tout simplement ?

Léonore Confino : Ah ! Ecrire, c’est toujours un très long processus. Par exemple, pour le Poisson Belge, l’histoire de cette Grande Monsieur qui rencontre Petite Fille que les parents ne sont pas venus chercher à la sortie de l’école, il y a vraiment eu un déclic dans la rue, dans le métro. Je m’amusais à y repérer des gens, à me demander « Est-ce que je vois encore l’enfant intérieur en eux ou est-ce que je ne le vois plus ? ». Et puis, j’ai commencé à le faire avec mon entourage. J’adorais ce jeu. Il y a des gens où je ne voyais plus l’enfant intérieur où il fallait gratter très profond et d’autres, c’était évident. Pour finir, je me la suis moi-même posée en me regardant dans une glace et là, je me suis dit « L’enfant intérieur, il est en train de se barrer avec toutes les contraintes. Il y a urgence à écrire quelque chose là-dessus ».

 

Ma fille était déjà née et j’adorais écouter ses questions. Je portais de plus en plus d’attention à ce qu’elle me bouscule et qu’elle bouscule le fait que je devienne une vieille bique. Tout ça m’a réveillée et j’ai eu, peu après, la vision dans un bus de cet homme desséché par la solitude avec deux petites boucles d’oreilles et cette gamine, tous deux assis sur un banc, près des étangs de Bruxelles. A partir de là, j’ai simplement raconté ce qui me passait par la tête. Je me racontais une histoire autour de cette gamine, qu’au début elle avait perdu ses parents, qu’elle avait fugué… j’ai aussi raconté le moment où elle s’incruste chez lui, des scènes de la vie quotidienne. Le comment ça se passe quand deux inconnus doivent vivre sous un même toit, se nourrir ensemble ? Le comment ça se passe quand on doit s’occuper d’un enfant ? C’est au fur et à mesure de l’écriture que je me suis rendue compte que cette Petite Fille était l’enfant intérieur de cette Grande Monsieur. Au début, ce n’était pas évident, je la voyais sous plusieurs angles, c’était sa fille, sa mère, son fils… En fait, j’adore écrire de cette manière. J’ai l’impression que ce qui sort de manière spontanée devient « secret que je dois percer ». Ça me permet d’avancer sur la pièce, dans ma vie intérieure, dans ma vision du monde… Le processus d’écriture m’intéresse quand il est imprévisible. C’est pour ça que je fonctionne sans établir de plan à l’avance, sans structure parce que je sais que toutes ces possibilités d’imaginaire, de se laisser surprendre par ses personnages deviendraient impossible, beaucoup plus difficiles à verbaliser. En fait, la structure vient dans un deuxième temps. Question timing, j’écris un gros jet pendant un mois, ça jaillit et après, pendant un an, je retouche. Souvent le premier jet est pourri. Mais dans une séquence, une phrase peut me mobiliser complètement, un bout de dialogues, deux répliques et là, je me dis que quelque chose de juste qui me touche et m’émeut, est en train de se cristalliser. J’essaie toujours de revenir à la genèse de ces deux répliques, à leur énergie, à leur faire confiance pour pouvoir écrire la scène en entier. Au bout d’un an, je commence à voir la pièce qui existe. C’est son chemin qui m’intéresse, non le résultat. Je suis inhibée par cette idée de résultat, ça me terrorise.

 

L’écriture pour moi est viscérale, très organique et me met toujours dans un certain état de fébrilité. C’est pour ça que dès que les comédiens jouent, ils rentrent eux-mêmes dans cet état, transmis par les mots. Quand ils n’y parviennent pas, en général, c’est qu’il y a quelque chose à réécrire. Je réécris beaucoup au plateau. Je me dis que plus les mots sont précis pour retranscrire ces émotions, plus les comédiens auront plaisir à retracer le chemin des émotions. J’essaie toujours de leur dessiner une petite colonne vertébrale pour qu’ils puissent retrouver l’émotion exacte et la metteuse en scène, Catherine Schaub, s’amuse beaucoup à entrer dans ce jeu de piste du texte. Elle est indispensable pour éclairer et transformer ce qui est suggéré en matière concrète pour toute l’équipe. Je ne suis pas une littéraire mais j’aime énormément les mots précis. Ce désir de précision, ce petit jeu masqué avec les comédiens, de cette petite carte pour venir au trésor, ça force à aller ouvrir un dictionnaire des synonymes, ça force à lire d’autres auteurs, je me fais ma formation littéraire dans cette quête de l’émotion juste. L’émotion, c’est l’objectif absolu sinon j’écrirais des essais.

Au début de l’écriture, j’entends aussi des voix et un rythme. Ce qui lie ensuite, les dialogues et les personnages, ce sont les matières. Par exemple, dans le Poisson Belge, l’eau et le personnage d’une Grande Monsieur asséchée sont des vrais repères de texte. C’est pour ça que la Petite Fille est dans des débits beaucoup plus longs et lui, dans des répliques plus courtes et plus cinglantes au départ. L’eau est un fil conducteur, le poisson aussi. Lui ne mange que des choses lyophilisées et elle, elle va le réhydrater, lui remettre des larmes. Quand il a perdu ses parents, il était sec comme une biscotte, il n’a pas réussi à pleurer. Elle va le faire pleurer et d’un coup, l’irriguer. J’aimais bien cette idée et c’est justement ça qui a été génial avec Marc Lavoine (Grande Monsieur dans la pièce) qui pour moi incarne une sorte d’icône de la beauté, quelque chose de mystérieux, de féminin, d’assez intouchable aussi, au moment où on a commencé à répéter et qu’il a commencé à faire des trucs de clown hyper burlesque, ça m’a rappelée au texte même, à ne jamais enfermer les images, les personnes dans des cases.

Grande Monsieur : « Tu étais cette partie de moi qui respirait si mal… »
Sabine Hogrel

Le poisson Belge de Léonore Confino, mis en scène par Catherine Schaub jusqu’au 16 janvier 2016 au théâtre de la Pépinière Paris II (texte édité aux éditions Acte Sud)

 

Ouverture de Léonore Confino, mis en scène par Mathilda May pour le festival du Paris des femmes du 8-10 Janvier 2016, au théâtre des Mathurins, Paris VIII.