Regards

L’Humanité et la Grâce : Josette Rispal à La Madeleine

Par Cybèle Air

Dans l’atelier de Josette RISPAL, le groupe de sculptures installées depuis à La Madeleine, L’Humanité, habitait la grotte démiurgique de leur vibrante présence. Les unes se superposaient aux autres, il était impossible de toutes les voir séparément. Leur présence silencieuse et intense surgissait dans l’atelier-monde : chapelle ouvrant sur le ciel, et détours sombres vivants de Chiffonnettes uniques et énigmatiques. Des tissus, des matières diverses comme transfigurées par l’artiste, et là, ce groupe de métal ondoyant et lumineux, faisait rupture, et acte de présence très émouvante, très impressionnante.

Leur installation en l’église de La Madeleine pour le Mercredi des Cendres en février 2016, et jusqu’au 20 novembre 2016, constitue un événement à plusieurs titres. L’artiste Josette RISPAL a été conviée pour le Jubilé de l’Année de la Miséricorde. Son installation éclaire ce mystère de la Miséricorde, et ce mystère explicite l’attrait et la profondeur de cette œuvre L’Humanité. A La Madeleine, la foule chatoyante des humains s’expose en foule dispersée, illuminée du flot d’un drapé argenté, qui émane d’un grand Christ protecteur, sculpture pérenne de l’église. Plis du drapé surajouté et cannelures des colonnes de l’édifice s’unissent, pour manifester cette extension en profusion. Quelle extension ? Quelle profusion ?

Le Pape François écrit dans la Bulle « Misericordia Vultus » de Pâques 2015, en annonce de l’Année sainte : « Nous confierons la vie de l’Eglise, l’humanité entière et tout le cosmos à la Seigneurie du Christ, pour qu’il répande sa miséricorde telle la rosée du matin, pour une histoire féconde à construire moyennant l’engagement de tous au service de notre proche avenir. » Telle la rosée du matin le flot de lumière, le flot de miséricorde s’étend à l’humanité entière, s’étend à tous les humains. Voilà ce que nous pouvons voir à La Madeleine. Une verticalité rythmée et lumineuse nous chante droit au cœur.

Chaque sculpture se dresse, unique, différente, et en même temps semblable. Ce qui est commun ressort, la silhouette, la matière : ce sont les humains. Ce qui les particularise s’avère plus secret : une ou plusieurs couleurs intérieures, en pâte de verre opaque et translucide. Chacun a sa lumière, comme un coeur vibrant, un ou plusieurs cœurs, jaune ou vert, parme ou bleu, toujours irisé, complexe dans le détail : feuilleté d’or ou d’argent. Chacun a sa manière de réfracter la lumière. L’installation ondoie et chatoie, change de reflets grâce à un éclairage savant. Elle vibre d’une vie qui s’épanouit en couleurs et lumière. Que sont ces cœurs ?

Ces centres de matière irisée donnent leur unité à chaque humain. Chaque cœur de pâte de verre donne l’unité et marque l’unicité de chaque silhouette. Qu’est-ce qu’un centre pour l’homme ? « Qu’est-ce que le moi ? », demandait PASCAL. Le grand croyant et grand philosophe nous parlait du décentrement de l’homme, il ne trouve pas son assiette. Comme éclaté dans l’espace, chacun naturellement voudrait se faire le tyran de tous les autres. En ce sens « le moi est haïssable ». Cette propension a un nom en théologie chrétienne : le péché originel. Cette misère de l’homme risque à tout moment de le disloquer, de le déchirer : se croire le centre et n’être qu’un néant. Qui me rassemblera ?

La Miséricorde est ce baume qui donne la possibilité d’un rassemblement intérieur. Le pardon offert par Dieu aux hommes exprime sa toute-puissance, il est surabondant et régénérant. Il s’étend à tous. « La miséricorde sera toujours plus grande que le péché, et nul ne peut imposer une limite à l’amour de Dieu qui pardonne », affirme la Bulle papale. Le pardon rend possible à nouveau l’exercice d’une liberté vivifiée. Ce qui permet de se réunifier, c’est l’amour qui pardonne : recentrement coloré qui réfracte la lumière et réfléchit la joie. KIERKEGAARD a si bien analysé comment l’unité intérieure n’est possible que par le regard d’amour. L’autre, aimant, son pardon, permettent la réunification intérieure.

Voilà ce que nous donne à voir et à ressentir la magistrale installation de Josette RISPAL, dans le vaste espace de l’église de La Madeleine. Chaque sculpture est visible et chacun préfèrera la sienne, ou se reconnaîtra dans l’une des silhouettes rayonnantes ; puis se rendra à l’évidence que l’ensemble émeut, l’humanité, une et multiple. Le Christ étend sa Miséricorde à tous, pour que chacun vive d’une intériorité rénovée et lumineuse, qui chacune déploie son chatoiement unique. Devenir un Singulier, écrivait le grand Danois. L’installation L’Humanité nous est proposée à la contemplation, à la méditation, jusqu’au 20 novembre prochain, en la solennité liturgique du Christ Roi. Au son des orgues ou des chants à certains moments, une expérience de la grâce ?

L’Humanité, de Josette RISPAL, sculpteur

Eglise de La Madeleine, Paris VIIIème

Accrochage et lumière : Jean Fröhlich

Eclairage électronique : Cyril Vachez

Coordination de la scénographie : Mylène Vignon

Visible tous les jours de 9h30 à 19h jusqu’au 20 novembre 2016