Regards

Louis Stettner sous tous les azimuts

Par Henri-Hugues Lejeune

Louis Stettner est né à Brooklyn en 1922.

Photographe et artiste de grande renommée conquise au cours d’une longue vie jalonnée d’allées et venues entre New York et Paris, on peut naturellement considérer que le double hommage qui lui est actuellement rendu au Centre Pompidou comme à la Galerie Susse constitue une sorte de couronnement de la carrière d’un humaniste à l’ouverture d’esprit universelle, aussi Français qu’il est profondément Américain.

Il avait déjà été accueilli dans le cadre de la Bibliothèque Nationale.

A qui regarde l’œuvre ainsi montrée, le caractère immense et protéiforme de sa création, transcende le photographe et fournit l’éclairage, le cheminement et l’illustration de cette féconde vie et de sa profonde signification humaine.

Il nous livre ses paradoxes.

Il est essentiellement autodidacte et cela apparaît à chaque instant.

Oui, mais il a étudié et enseigné (en même temps ou presque semble-t-il) à l’IDHEC à Paris et à la Photo League à New York.

Son existence s’est déroulée, a trouvé sa caractéristique avec ses transferts successifs entre ses deux pôles où il puisait inlassablement, l’un après l’autre, inspiration et accomplissements.

Oui, mais que de crochets! Et quelle biographie!

Dès l’âge de 13 ans, il se plonge dans la photographie, son père lui ayant donné un appareil à boîtier. Il devient photographe de guerre dans le Pacifique à l’âge de 18 ans ce qui le « promène » de la Nouvelle-Guinée aux Philippines et au Japon. Il en parle drôlement et sans ego (ce qui est sa marque).

« C’était un peu dur d’être photographe de guerre parce que vous passiez la plus grande partie de votre temps à vous cacher pour rester en vie: il n’y avait pas d’images de charges de Cosaques ou rien de ce genre ».

 

Sa mission était de photographier l’ennemi d’en face, plutôt que ses camarades avec lesquels il combattait, ce qu’il eût tellement préféré.

« Il fallait se débrouiller » conclut-il.

Décidément, la grande littérature de guerre américaine comme son imaginaire auront été initiés dans le Pacifique.

Après avoir été démobilisé en 1946, il vient à Paris pour un court séjour qu’il terminera cinq ans après y avoir entre autres étudié l’Art et le cinéma (IDHEC) grâce à une bourse d’Ancien Combattant.

Il découvre à Paris dit-il cette rage de vivre qui y régnait à la suite de la guerre et qui semble ne l’avoir jamais quitté.

Pendant longtemps, ses caméras devenaient de plus en plus petites, comme le voulait le progrès. Mais récemment le créateur devenu vieux, s’est retrouvé près de son point de départ à regarder derrière l’objectif d’un gros appareil en bois de 8×10 monté sur un trépied volumineux. Il avait employé un appareil similaire pour ses photos de banlieues parisiennes les plus fameuses « Aubervilliers » ou Avenue de Châtillon » en 1947! Car ses photos les plus récentes sont des images de nature d’arbres majestueux et tourmentés, prises dans les Alpilles de Haute-Provence.

« Pour photographier la nature vous ne pouvez pas opérer avec un petit négatif, il vous en faut un grand pour une résolution plus haute ».

 

Il n’a jamais utilisé le digital auquel « manque la transparence de l’argent heurté par la lumière« .

Il s’était fait nombre d’amis à Paris chez les photographes et en dehors: Edouard Boubat, Brassaï: « Brassaï m’a montré qu’il était possible de trouver quelque chose de significatif en photographiant des sujets de la vie quotidienne accomplissant des choses ordinaires que vous interprétez de votre manière et avec votre vision propre« .

« Quand je regarde le travail des autres dit-il, ce qui est important à mes yeux est d’y voir leur vision, pas seulement un document brut. »

Il a toujours été amical et généreux et a singulièrement contribué au succès de nombreux confrères français en faisant exposer dès 1947 à la Photo League à New York Boubat, Willy Ronis, Robert Doisneau et Izis.

Le succès et la notoriété s’amplifiant, Stettner devient reporter Free Lance à « Times », à « Paris-Match » etc. Il est photographe de rues à l’américaine et humaniste à la française…

Mais pour lui ce genre de travail a toujours représenté un moyen vers une fin; il le maintenait au nécessaire pour s’assurer le temps de réaliser son œuvre propre.

Il a toujours été intéressé par les gens au travail.

En 1972, il traverse l’Europe, l’Union Soviétique et l’Amérique pour photographier des fabriques de meubles, des usines d’automobiles et des sites de construction. « Je sentais que la plupart des gens passaient là le plus clair de leur temps dans des usines: pourquoi les artistes n’iraient-ils pas les regarder?

 

– Je l’ai fait et j’ai j’y ai trouvé des gens très intelligents travaillant là avec des visages magnifiques ».

 

Il y retrouvait son approche humaniste des temps de guerre.

En 1956, il se penche sur la vie de deux pêcheurs d’Ibissa (le lieu n’était pas mal choisi!) « Pepe » et « Tony » qui illustrent son intérêt pour les gestes des hommes et leurs gestes dans un cadre naturel, spécialement là sur la manière dont la peau des hommes se reflète sur la surface de la mer.

Il avait envisagé cette série pour un livre qui n’a pas alors trouvé d’éditeur.

Cet intérêt pour l’homme s’étend à toute l’expression artistique générée par lui.

C’est ici qu’intervient l’exposition généraliste réunie au Palais-Royal par la Galerie Susse.

Stettner a toujours pratiqué l’art dès lors qu’il a pu s’y adonner un peu régulièrement Il semble s’être inspiré, s’il ne l’a pas formulé de l’adage « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger ». Comme il avait appris et enseigné, il apprenait, étudiait, admirait…et créait.

Artiste et artisan d’un œuvre qui s’étend sur à peu près huit décennies, dès l’abord il dessinait, puis, à mesure étendait et élargissait son champ d’action, s’étoffait de couleur et de peinture, s’engageait dans le maniement des objets comme de ses propres formes. L’argile, parfois métamorphosée en bronzes qui sont venus depuis, cette expansion facilitée par une existence plus casanière avec son installation dans une maison à Saint-Ouen avec son épouse Jeanette en 1990.

Comme son regard, son inspiration artistique est totalement libre, jaillissante et aussi hétéroclite et extravagante qu’il lui plaît de l’être. Aucune technique ne lui fait peur, ne le rebute.

Avec la gaieté, l’improvisation et l’ingéniosité créatrices, la bonhomie profonde aussi de son lointain compatriote Calder dont il semble partager la bonhomie optimiste et libératoire.

Face à l’hommage qui lui est rendu, en homme sage, après avoir remercié son épouse de toute l’assistance qu’elle lui prête, il complimente ses médecins de l’avoir aidé à mener le projet à bien!

GALERIE DE PHOTOGRAPHIE – CENTRE GEORGES POMPIDOU

15 juin -12 septembre 2016

GALERIE SUSSE FRÈRES

56-62 Galerie Montpensier Palais-Royal

01-42-61-05-75

7 juin-12 juillet 2016