Regards

Youn Sun Nah

Par Michel Contat

Elle est coréenne, de Séoul, son père dirige le chœur national, une institution prestigieuse, sa mère est actrice de comédies musicales. Autant dire que Youn Sun Nah a baigné dans la musique dès l’enfance. Mais, à treize ans, elle a abandonné le piano, et s’est ensuite consacrée à des études de lettres. En 1993, à vingt-cinq ans, elle renoue avec la musique comme chanteuse dans un répertoire de gospel puis elle participe à des spectacles musicaux. L’idée lui vient alors d’aller à Paris pour apprendre la chanson française qu’elle aime tant à travers Edith Piaf et Jacques Brel. Au Conservatoire, Nadia Boulanger la dirige vers le jazz. Au CIM, elle découvre avec émerveillement l’improvisation, ses propres capacités vocales, vite remarquées par les jeunes musiciens qui l’entourent et avec qui elle forme un groupe. Ils enregistrent un album, So I am, non sans succès, entraînant de nombreux concerts. De retour à Séoul, elle  s’essaie à la pop. Viendront ensuite, en Europe, sur le label allemand ACT quatre albums de jazz, Voyage, Same Girl, Lento, She moves on, avec le guitariste suédois Ulf Wakenius, qui fut le dernier accompagnateur d’Oscar Peterson, quand le célèbre pianiste eut besoin d’une guitare pour renforcer le jeu de sa main gauche, affaiblie.

Ces albums donnent la mesure de son talent et de ses moyens vocaux, du velouté soyeux de son médium, de la tendresse de son aigu, de l’impressionnante force de son suraigu, de son impeccable assurance rythmique. Peu de chanteuses ont un registre aussi large, une sensibilité aussi vivre, une fantaisie aussi exubérante. Elle peut vous arracher des larmes avec Ne me quitte pas, de Brel, Avec le temps, de Léo Ferré, La Chanson d’Hélène, de Philippe Sarde (Les Choses de la vie). Car son amour de la chanson française ne l’a jamais quittée. Elle peut aussi vous faire trépigner avec Ghost Riders in the Sky, où elle se révèle comédienne de western. Et elle swingue à qui mieux mieux sur des standards comme sur des originaux.

  En Corée du Sud, Youn Sun Nah est une célébrité nationale. Son époux programme un festival de jazz qui se tient dans immense stade de Séoul et draine des milliers d’amateurs. Son succès en Europe ne cesse d’augmenter. Elle a un pied à terre à Paris, du moment qu’elle partage sa carrière entre la Corée et surtout la France et l’Allemagne. Remarquée par Wynton Marsalis à Marciac, il l’a fait venir au Lincoln Center à New York pour un concert resté sans lendemain.             Son nouvel album, Immersion (Warner Music), flirte avec la pop sur de petits arrangements électroniques. Il comporte des originaux de sa plume et des reprises de George Harrison (Isn’t it a pity), Marvin Gaye (Mercy Mercy Me), Leonard Cohen (Hallelujah), Michel Legrand et Agnès Varda (Sans toi, que chantait Corinne Marchand dans Cléo de cinq à sept). La voix est toujours là, prenante, infiniment séduisante, mais le répertoire et l’accompagnement convainquent moins. Cependant l’envie reste intacte d’embrasser une merveilleuse artiste