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Gustave Moreau

Par Théodore Blaise

Dans son testament rédigé en 1897, Gustave Moreau écrit :

Je lègue ma maison avec tout ce qu’elle contient… à cette condition expresse de garder toujours cette collection, en lui conservant ce caractère d’ensemble qui permette toujours de constater la somme de travail et d’efforts de l’artiste pendant sa vie .

Il disposera cette collection sur les murs de son atelier, fera construire des meubles à vantaux,  permettant de consulter des milliers de dessins comme on feuillette un livre. Tout a gardé la même place depuis plus d’un siècle.

On y trouve œuvres achevées, esquisses, petites peintures et sur de nombreux cartons ce qui ressemble à des palettes et qui sont ici dénommées  ébauche.

Sous le titre de  Vers le songe et l’abstrait  sont mis en vis-à-vis des œuvres maîtresses du musée et des pièces peu connues pour la première fois montrées au public.

L’objet des commissaires est de nous interroger sur ce qui caractérise les tableaux de l’artiste : la dissociation sur de la couleur et du trait. Nombre de ses peintures sont des superposition de traits qui forment une représentation sur un ensemble maculeux de couleur.
Ce dessin on en retrouve très souvent des croquis à l’encre et ses crayonnés soigneusement rangés dans ses meubles à dessins, cette représentation très construite affirme ses intentions.

De ces représentations, on en retrouve très souvent des esquisses et croquis à l’encre et des crayonnés soigneusement rangés dans ses meubles à dessins.

Quant à la couleur : posée à même la toile elle semble jetée d’un geste inédit qui n’obéit à aucune prescription figurale. Libre, la touche témoigne d’un jeu conduit par le plaisir.

Parfois, le dessin qui va superposer cette couleur ne l’envahit, pas totalement, et les taches  semblent vivre ici en toute autonomie tout comme dans ses ébauches – des essaies pour des fonds futurs peut-être ?– ? Est-ce pour cela que nous devons évoquer l’abstrait et faire alors de Gustave Moreau le père putatif de l’abstraction ?

Pourquoi pas. Mais lui n’en a rien dit.

Si l’artiste a peu parlé, les rares notes qu’il a laissées nous invitent à entrevoir les choses de son point de vue qui ne semble pas être celui de la musique des couleurs, telle qu’elle commandera sous la houlette de Kandinsky l’école abstraite.

Ne faut-il pas mieux l’écouter :

Les poètes et les chantres Païens, meurent de cet embrassement, de cette communion ardente avec la matière  dit-il et il évoque  cette immersion dans la nature végétative où parlant du commerce qu’il a avec cette matière il le décrit comme  une union affolée, délirante, d’un éréthisme éperdu,  avec cette nature muette, insensible, prenante, mourant sans cesse pour renaître plus vivace… 

La matière plus que la couleur. La glèbe des pâtes brunes, bauxite et Olive d’une terre primitive.

Plus que le dessin, plus que la couleur, l’onctuosité meule de la pâte, comme un absolu est, dans l’affaire d’un tableau. L’unique présence.

En ce sens, ce n’est pas de l’abstraction qu’il serait le précurseur, mais celui de tous ces artistes qui après guerre  ont regardé l’espace de l’art comme matière, en toute indépendance de la forme.  Evoquons Tàpies, Burri, Millares, Fontana, les peintres de Gutaï…

Et alors il nous faut  penser que toute manifestation de la matière est présence de l’Esprit en dehors de toute forme qui viendrait la contraindre. Serait-ce là le vrai legs de Gustave Moreau ?

Quant au songe _ mais le rêve n’est-il pas la forme la plus accomplie de l’abstraction _ il se manifeste à travers l’attirail symboliste l’évocation des lointains – les encens et la myrte, les grands mythes et les Testaments, la Grèce, l’Orient…

Tous les corps qu’il dessine donnent prétexte au jeu premier de la peinture-matière, pour que le soir, ce beau corps et cette mystérieuse nature se fondent dans un suprême et ineffable embrassement. 

Exposition Gustave Moreau. Vers le songe et l’abstrait 

Musée Gustave Moreau – 14, rue de la Rochefoucauld – 75009 Paris

Jusqu’au 21 janvier 2019.