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La Duchesse de Varsovie

Par Pascal Aubier

Il y a des jours où l’on ne doit pas hésiter. Les films qui sortent parmi les meilleurs sont voués à disparaître avant même qu’ils aient eu le temps de trouver leur public. Aussi à la moindre annonce de bonne nouvelle faut-il courir. Courir à l’Arlequin ou aux Sept Parnassiens par exemple pour voir, pour courir voir LA DUCHESSE DE VARSOVIE.

Voici un film qui rend à la poésie ce que le cinéma lui doit naturellement. Alors que l’on voit partout des héros batailleurs dans les trois dimensions, les papas, les mamans et les enfants qui nous étourdissent dans leurs mondes trépignant, au détour d’une salle bien inspirée deux personnages s’entrecroisent devant des toiles peintes dans la recherche d’un secret jamais révélé. Deux personnages, une grand-mère un peu fée lumineuse, qui pour rendre la joie de vivre à son petit fils finira par lui raconter l’indicible, la mémoire qu’elle cache au fond du cœur de la jeune fille qu’elle était quand les Nazis la jetèrent dans les camps.

Et dans cette révélation retenue, puis lâchée au vent en fin de compte, les peintures représentant en perspective le Paris traversé, le jour et la nuit, les intérieurs comme des coquilles nous permettent au mieux de suivre le fil de l’histoire qui nous est contée. Belles peintures d’ailleurs que les lumières affinent, ce n’est point l’imitation du réel, elles sont parties prenantes dans ce film attentif.

Joseph Morder, le réalisateur et auteur de ce film, le diseur a fait dire son histoire, idée magnifique, par Alexandra Stewart. Alexandra Stewart plus lumineuse et belle que jamais, aussi merveilleusement à l’aise dans sa peau de grand-mère — qu’elle a bien réussi à être dans la vie — et dont l’élégance masque la douleur profonde, celle que l’on cache à cause de la honte. Parce que, figurez-vous les Juifs qui survécurent à l’horreur des camps, avaient honte d’en parler aux vivants heureux qui fêtaient la paix revenue dans l’Europe dévastée. Vous comprenez ? La honte des survivants !

Alexandra donne à cette femme revenue de l’enfer, sa grâce et son amour de la vie. Qui donne à sa confession la vraie dimension tragique. Sans en remettre, sans effort apparent. Elle qui a ébloui les meilleurs metteurs en scène, les peintres, les écrivains et les toreros, nous offre ici le plus simplement du monde son visage sans apprêt, sans filet je dirais, l’âge ayant sculpté peu à peu ses nids de petites routes, ses champs de blé mur autour de ses yeux si bleus, si bleus.

Mais la beauté est une chose, le talent une autre. Et c’est dans celui-là que la comédienne nous enchaîne. Le talent, c’est comme l’élégance, cela ne doit pas se voir. Ne rien faire remarquer, tout faire passer. Superbe. Et vous serez bien assez tôt à quoi elle doit son surnom de Duchesse. Tout vient à point qui sait attendre.

En face d’elle, rien d’évident pour Andy Gillet, petit fils au mal de vivre. Mais le jeune homme a soif et donne sa soif à son personnage qui se croit perdu. Le film nous comble donc, on en sort un peu grisé. Ma voisine avait pleuré. Et dehors, Paris ressemblait aux murs peints qui nous avaient entraînés.