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L’opéra « Madame Curie » de Elzbieta Sikora : la fougue de l’alchimiste

Par Cybèle Air

Le compositeur polonais, femme,  Elzbieta SIKORA, s’est emparée de la grande figure de Marie Curie, née Maria Sklodowska, et rend vivante par sa musique la fougue de cette pionnière. Présenté pour la première fois à Paris en 2011 à l’Auditorium de l’Unesco, puis à l’Opéra Baltique de Gdansk dont il est une commande, Madame Curie fait l’objet d’une projection en décembre 2017 à La Reine Blanche, scène des arts et des sciences, en l’honneur des 150 ans de la naissance de la grande physicienne.

 

Le parcours d’une femme intrépide et aventureuse, pugnace dans son désir de connaître les mystères de la matière se donne à entendre dans ce troisième opéra d’Elzbieta Sikora. L’orchestre projette, par les sons, la réalité de derrière comme dirait Pascal, celle qui sourd derrière les apparences. Et la première scène offre à la vue cette percée de l’intelligence qui cherche, quand nous découvrons avec Marie Curie l’orchestre d’abord muet, derrière le rideau qui s’élève derrière elle, révélant tout un monde possible.

Ce monde d’ondes, de radiations que mettra en évidence la physicienne, devient ainsi image, par la présence silencieuse des instrumentistes comme arrière-plan, comme décor signifiant. Puis la musique commence, le jeu des ondes sonores, l’harmonie des sphères aurait-on dit dans l’Antiquité. Car c’est bien ce chant secret de la matière qui à la fois attire Marie, et qu’elle révèlera en équations mathématiques. Cette scénographie originale met bien au cœur de la scène le sujet de la vibration, du caché, mais aussi de l’intime.

Compositrice abreuvée également en France à l’IRCAM, Sikora mêle les instruments à cordes aux bruits de la nature, les cuivres à l’électroacoustique, et nous entendons alors l’épaisseur du mystère et de la complexité. Mais la vibration n’est pas seulement celle de la radioactivité, mais aussi celle du cœur. La passion amoureuse qui a uni Marie Curie à Paul Langevin après la disparition de Pierre Curie, trouve une expression lyrique juste et enflammée dans la partition. La flamme luminescente du Radium vibre aussi d’une flamme amoureuse, la chercheuse intrépide se découvre aventureuse également en amour.

C’est donc bien une héroïne à part entière qui tient la scène : femme aux deux Prix Nobel, contestée par une société encore aveugle à ce que les philosophes, depuis Descartes, peuvent clairement nommer « l’égalité métaphysique » des êtres humains _ indépendante donc de toute contingence, y compris celle de la différenciation sexuelle, faut-il le rappeler ? _ mais aussi une femme libre dans l’affirmation de son désir amoureux, contrarié par un ordre social qui convoque xénophobie et misogynie à son appui. Ce magnifique rôle de soprano ne quitte pas le plateau, et nous emporte dans son élan, ses audaces, ses tourments, ses angoisses.

Nous saluons donc cet opéra en langue polonaise qui donne à entendre la musique des particules et celle du cœur, dans une modernité de textures et de sons, qui accueille aussi des solos de flûte et de clarinette. Et nous attendons qu’une maison d’Opéra, à Paris ou en Province, les propose à un plus large public. Nous appelons de nos vœux une édition en français du livret. Outre la problématique classique de la responsabilité issue des découvertes scientifiques, et de leur ambivalence, avec Einstein dans le rôle de la conscience questionnante, cet opéra nous convie à la poésie de la flamme, ici incarnée un instant par une danseuse aérienne.

Avec ses chœurs et ses voix, son alchimie sonore et son dispositif scénique, l’opéra Madame Curie fait de la grande physicienne une femme inoubliable. Le lieu innovant et chaleureux qu’a su initier Elisabeth Bouchaud dans le 18ème arrondissement de Paris, La Reine Blanche, accomplit pleinement sa vocation en provocant sa redécouverte.

Madame Curie, opéra de Elzbieta SIKORA (2011)
Livret de Agata Miklaszewska

La Reine Blanche, Scène des Arts et des Sciences
2 bis, passage Ruelle, Paris 18ème