Lettres

Le festival Józef Czapski

Par Sergiusz Chądzyński

La vie de Józef Czapski fut une odyssée insolite, elle commença le 3 avril, 1989 à Prague, quand la ville appartenait à l’empire austro-hongrois, pour s’arrêter à Paris le 12 janvier 1993 à Maisons-Laffitte.

Peintre, écrivain, homme d’action, dont chacun de ses multiples visages aurait enrichi la biographie d’aucuns, il traversa son époque comme témoin des événements majeurs : de la révolution d’Octobre à la Seconde Guerre mondiale, de la guerre froide à la chute du communisme. Le film d’Andrzej Wolski, Józef Czapski, 1886-1993 : Témoin du siècle, une œuvre remarquable, que nous pouvons comparer au fruit du travail d’une orfèvrerie de la Place Vendôme, tellement sa minutie du montage effectué à partir des archives cinématographiques d’Andrzej Wajda et ceux des télévisions de France et d’Allemagne, attire et surprend le spectateur, dépeint le mieux le portrait de l’artiste polyglotte parlant couramment quatre langues : le polonais, le français, l’allemand et le russe avec un naturel et une aisance déconcertants.

Sauvé miraculeusement des massacres des officiers polonais, capturés en 1939 après l’annexion de la partie de la Pologne par l’Armée rouge, rescapé du goulag, Czapski quitta la Russie en 1942 avec l’armée du général Anders, après les accords entre le gouvernement polonais en exil et Staline. Ses livres Souvenirs de Starobielsk et Terre inhumaine donnent la vision terrible de cette époque. Il participa ensuite aux batailles contre l’armée allemande durant la libération de l’Italie. En 1946 avec Jerzy Giedroyc et Gustave Herling-Grudziński il créa à Rome la maison d’édition Kultura et apporta un soutien inconditionnel à son développement en frappant à la porte des puissants et de riches de ce monde. Raymond Aron, Daniel Halèvy, Pablo Picasso et André Malraux, font partie des amis personnels de Czapski. Les éditions Kultura, gérées par Jerzy Giedroyc, rédacteur en chef, entouré d’une poignée des collaborateurs s’opposèrent durant quarante ans au régime instauré à Varsovie et contribuèrent largement à la victoire de la démocratie en Pologne et dans les pays avoisinants. L’amitié avec Malraux permit de défendre la cause de l’Institut Kultura auprès le général de Gaulle et ceci éloigna toutes les menaces qui pesaient.

La peinture avait pour Czapski une importance primordiale, et peut – être pour cette raison, une fois les affaires de Kultura mises en place, Il s’éloigne un peu de l’action politique et consacre tous ses efforts à peindre et à écrire à ce sujet. Son aventure dans ce domaine prit de l’élan vers 1918 avec l’inscription d’abord aux Beaux-Arts de Varsovie, ensuite se poursuivit après la Grande Guerre à l’Académie de Cracovie, pour continuer à Paris en compagnie des peintres polonais du mouvement kapiste entre 1924 et 1933 où il tomba sous le charme de la peinture de Pierre Bonnard.

Son art est très bien décrit par Murielle Werner – Gagnebin dans Czapski la main et l’espace.

En Pologne d’après-guerre le nom de l’artiste fut condamné officiellement par la censure, réduit quasiment à néant ; une ou deux expositions eurent lieu, un livre Patrząc (En regardant) fut édité en 1983, et pourtant avec l’apparition des éditions clandestines son nom se fait connaître, surtout comme celui d’un auteur témoin des atrocités du siècle.

Tout changera après 1989, le nom de Czapski émerge et prend petit à petit sa place dans la culture polonaise, en tant qu’écrivain et surtout en tant que peintre, mais on ne peut pas dire que ceci fût une ascension fulgurante. Certes, les éditions en Pologne multipliaient les publications des ses livres, les Musées nationaux exposaient ses toiles, mais l’entrée dans le circuit culturel polonais était passée d’abord par les cercles restreints des intellectuels, par les admirateurs de Kultura, et par les connaisseurs des beaux-arts.

Pour cette raison toute initiative de présenter Józef Czapski au large public devint indispensable et grâce aux efforts de gens dévoués, il réintègre la culture polonaise. Le festival Józef Czapski du 5 octobre au 7 novembre 2017 , dirigé par Elżbieta Skoczek de la Fondation SUSEIA, est une merveilleuse occasion de présenter l’artiste dans tous les contextes de sa vie et de son œuvre au travers des événements créés dans des pays comme la Pologne, la Russie, la France, la Biélorussie, dans des villes et dans des lieus comme Cracovie, Varsovie, Sopot, Toruń, Wsola, Przyłuki, Saint-Pétersbourg, Paris, Maisons-Laffitte. Les témoignages, celui de l’acteur Wojciech Pszoniak ou celui de Maciej Morawski, le correspondant de presse de la Section polonaise de la Radio Free Europe, les expositions des toiles du peintre au Musée de l’université de Toruń et à la galerie « aTak » à Varsovie, ainsi les soirées thématiques dédiées à Czapski au Musée national de Varsovie, au Centre de dialogue à Paris, et la visite guidée par Leszek Czarnecki, excellent dans son rôle, à la maison de Kultura, précédée par la déposition d’une gerbe sur le tombeau de l’artiste sont des contributions remarquables pour le faire connaître.

Il faut probablement d’avantage d’efforts afin que Józef Czapski devienne membre à part entière du Panthéon de la conscience de la culture polonaise, mais des initiatives telles que ce Festival tracent le chemin et ceci doit réjouir tout admirateur de son œuvre.

https://www.institutfrancais.pl/fr/evs/festival-jozef-czapski

Józef Czapski 1896 -1993 Témoin du siècle / Zeitzeuge eines Jahrhunderts / Świadek wieku Scénario et réalisation : Andrzej Wolski

Durée 58 min. ARTE G.E.I.E Fondation Kultura / © 2015