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Anton Martineau

Par Théodore Blaise

En ces premiers jours de l’année, à Rouen où je me promenais, j’ai découvert à la galerie Duchose, qu’anime aujourd’hui René Réthoré, un artiste dont j’ignorais tout, Anton Martineau.

Devant ces œuvres, m’est venu ce mot que je n’utilise que rarement : hâbleur. Sans doute pour la valeur de sa sonorité et parce qu’au plus loin, ce Martineau m’évoque Franz Halls, pour la truculence de ses chairs traitées d’une touche qui impose le plaisir de peindre. Il est dans l’austère Hollande protestante, le seul qui sait poser un sourire sans qu’il ne devienne rictus.

Ce Martineau est du même acabit, et jamais ce qui chez tant d’autres serait grimace, ne l’est chez lui. Voilà un prognathe édenté, sa mâchoire est celle d’un bœuf errant, qui par son dessin, trace un arc entre le génie expressif des mousquetaires espagnols (Vélasquez, Goya, Picasso) et ses proches, les peintres du groupe Cobra.

Mais jamais chez Cobra si ce n’est chez Lucebert et Constant, la couleur n’a été si voluptueuse, symphonique même. Le regard peut vite quitter ce qui fait figure pour jouir des détails et des rythmes de ses tons inventés. Faut-il que j’insiste sur la difficulté qu’il y a chez un peintre à s’approprier de ce qui fait le cœur de son métier : l’immatériel de la couleur qu’il doit faire naître de la glue de ses pâtes colorées. Ils sont peu nombreux, ceux qui sont capables d’inventer des tons qui ne sont qu’à eux-mêmes. Martineau nous les impose en les combinant avec entrain. Ils me viennent à l’œil, je les goûte et j’en salive.

Ce sont ces tons qui me conduisent à une joie qui n’est pas que mentale et elle anime tout mon corps. Cela pourrait me conduire à négliger ce qu’il représente tant je pense que son seul but, c’est d’édifier son plaisir de peindre. Ainsi, cette table avec un crâne et un panier de fruits : « une vanité » diriez-vous ? Mais si joyeuse et sans menace, ni punition, calaverra digne du mexicain Jose Guadalupe Posada.

Ne manquez pas de fixer votre attention sur cette touche rouge si justement posée en bas à gauche ne vous rappelle-t-elle pas le rôle que jouait ce délicieux « petit pan de mur jaune » évoqué par Proust découvrant La vue de Delf de Vermeer ?

Il n’y a que les grands pour faire tenir, sans démonstration, tant de détails sous l’aile de l’essentiel. J’ignorais tout de cet Anton Martineau, né près d’Amsterdam en 1926 et qui s’est toujours dit autodidacte, ce qui vaut pour brevet de sincérité. Dans les années cinquante il se sera lié d’amitié avec Lucebert et c’est près de paris qu’il séjournent et travaillent ensemble, ce pour une part l’attache au courant Cobra. Mais il semble qu’il puisse aussi s’inscrire en marge du courant Provo, — mouvement anarcholibertaire des années 60, sorte de vague punk avant l’heure, mais rigolard et plus optimiste, prélude de mai 68, car il y a dans sa peinture tant de Provocation, par le sexe, l’humour et la jubilation….

Et de cette exposition, je suis sorti ragaillardi, comme d’avoir pris en pleine figure un vent chargé du sel d’un océan de liberté, réconforté, que la peinture ne soit pas un là-bas oublié, mais cette parole muette qui porte joie et fraternité.

Jusqu’au 1er mars 2021

  • Galerie Duchoze, 49 rue d’Amiens, 76000 Rouen
  • Du mardi au samedi, les après-midi
  • Tél : 02 35 07 34 13 – 06 15 45 20 38