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Critique du film Making of de Cédric Kahn

Par Chantal Laroche Poupard (SIGNIS Cinéma)  

Le réalisateur Cédric Kahn s’est fait connaître comme assistant du monteur Yann Dedet pour le film de Maurice Pialat Sous le Soleil de Satan (Palme d’Or 1987). Cette précision est importante pour savourer cette comédie réjouissante montée avec talent et dextérité dans un scénario où la mise en abîme est constante. Comme dans certains de ses films, La Prière (en compétition pour l’Ours d’Or 2018) et Le Procès Goldman 2023, Cédric Kahn met en scène un homme seul contre tous : dans ce film Making of, Simon est réalisateur et souhaite tourner un film sur la réalité du drame vécu par les ouvriers qui cherchent à sauver leur usine par auto-gestion.

Le film s’ouvre sur une séquence fougueuse alors que Jim défonce violemment un portail ; la première prise est ratée, elle est refaite immédiatement, sous un tout autre angle, un grand angle, en plongée cette fois-ci dans le rythme effréné d’une musique puissante : le cadre du tournage est dévoilé tandis qu’apparaissent les ouvriers et leur usine. Simon essaie tant bien que mal de tourner son film secondé par sa directrice de production (la brillante Emmanuelle Bercot) qui, efficace et dynamique, restera son soutien le plus fiable et le plus solide. Rien ne va plus pour Simon, tandis que les problèmes s’accumulent sur ce tournage, les impondérables se succèdent, des événements non prévus se superposent ; Simon « capitaine de bateau à la dérive » va vite se trouver dépassé : son producteur laxiste (l’excellent Xavier Beauvois) magouille avec les banquiers qui souhaitent une modification du scénario avec une fin plus positive mais loin de l’idée initiale que Simon avait prévue. A ceci s’ajoutent les revendications des techniciens qui sont à cran, celles des figurants qui ne peuvent plus faire manger leurs enfants et celles des acteurs qui, en roue libre, veulent faire la loi, surtout Jim, le protagoniste ; son ego comique le pousse à tout focaliser sur lui, tandis que Nadia, l’actrice principale, dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Le conflit d’ouvriers que Simon voulait filmer se transforme en conflit social de sa propre équipe de tournage.

A cette équipe s’est greffé un jeune homme, Joseph, (l’émouvant et original Stefan Crepon) auquel Simon confie une caméra afin qu’il fasse un « making of » une « réalisation du tournage » et ce sans complaisance, sans omettre le moindre détail. Tout est filmé par cet apprenti scénariste, que ce soit le travail de réalisateur de Simon avec tout ce que cela comporte de problèmes et de désespérance, ou sa vie privée et les déboires sentimentaux qu’il rencontre avec sa femme (Valérie Donzelli) tandis que le couple part à vau l’eau. Un lot de complications vient s’ajouter : Joseph, le jeune caméraman, tombe sous le charme de Nadia (Souheila Yacoub) et, mise en abîme oblige, un constant va et vient entre la fiction et la réalité, brouille les pistes tandis que cette actrice rend jaloux Joseph, en embrassant Jim (Jonathan Cohen) son partenaire, ce qui était prévu dans le scénario.

Ce long-métrage a pour leitmotiv une mise en abîme filée qui va constamment mêler la propre vie de Simon, celle de Joseph et du reste de l’équipe à celle du tournage cousu de problèmes. On avait déjà vu dans La Nuit américaine de François Truffaut, une mise en abîme, film dans le film, qui peut permettre au réalisateur sur le mode de l’autodérision de critiquer sa propre œuvre. Dans son long métrage, Cédric Kahn ne livre-t-il pas, sous le masque du protagoniste Simon (l’excellent Denis Podalydès) son autoportrait et ce, avec les difficultés qu’il rencontre ? Making of reste pourtant un moment de cinéma jouissif qui épate par son rythme endiablé, doublé d’une bande son superbe. La forme du scénario monté en trois actes rend ce tournage vivant et dynamique avec presqu’une « unité de temps, de lieu et d’action » qui se résume dans le mot « conflit » autour du tournage dans cette usine. Et la faculté géniale de Cédric Kahn de monter un film complexe à tiroirs avec des notes d’humour subtiles vient se greffer à un casting exceptionnel.

Production France 2024, 1H 59 avec Denis Podalydès, Jonathan Cohen, Stefan Crepon, Emmanuelle Bercot, Xavier Beauvois, Souheila Yacoub, Valérie Donzelli.