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Gustave Doré L’Imaginaire au Pouvoir

Par Henri-Hugues Lejeune

Né en 1832, il fut un enfant prodige et put d’autant plus s’en persuader que sa cellule familiale, convaincue dès son apparition, se consacra aussitôt à sa mission de promotion et de caisse de résonance.
Son père, ingénieur des Ponts et Chaussées très en vue (construction de la voie ferrée Lyon-Genève) destinait ses trois fils (Gustave est le second) à l’Ecole Polytechnique.

Mais, dès 1848, cédant à la pression qui s’exerçait depuis qu’il avait treize ans, date où les journaux s’étaient mis à publier ses dessins, essentiellement des caricatures, son père signait en son nom un contrat d’exclusivité avec Charles Philipon, un des grands patrons de la presse illustrée parisienne, juste avant de disparaître subitement en 1849. Dès lors, Gustave Doré deviendra une sorte de chef de famille et subviendra aux besoins des siens.
Enfant prodige il ne fut nullement un autodidacte. Il faisait ce qu’il voulait et l’apprenait par la même occasion au prix d’un travail intense. Il ne se présenta pas à Polytechnique car il avait déjà choisi la voie artistique mais rien dans sa formation ne l’eût empêché de le faire.
Il apprit dès son enfance à jouer du violon, ce qu’il poursuivit toute sa vie à un très bon niveau. Quand il voulait être peintre (très tôt), aquarelliste, sculpteur (très tard), il se mettait au travail et se souciait de maîtriser les techniques qui pouvaient le tenter. Et y parvenait sans peine. Il fut aussi un grand gymnaste et un sportif.
La visite de l’exposition le révèle clairement: apparu vers le milieu du siècle, Doré aura été l’artiste qui a donné au Romantisme en pleine conquête sa vision du monde, son univers.
Tout l’appareil romantique: poèmes et légendes hugoliens, drames et romans médiévaux, paysages infernaux ou au contraire idéalisés, enfers ou paradis, reposait sur un immense substrat onirique et imaginaire auquel les artistes du siècle peinaient visiblement à fournir.
C’est à juste titre que le Musée d’Orsay a qualifié l’exposition qu’il montre « L’imaginaire au pouvoir ».
Sous toutes ses formes, le siècle absorbe avidement l’imagerie fournie par G. Doré et la récompense fastueusement.
Il illustre les grandes oeuvres des siècles passés: Don Quichotte, Rabelais, les contes des Perrault, le Paradis Perdu de Milton, la Légende du Juif Errant, L’enfer de Dante, la Bible, le Roland furieux de l’Arioste. rêve d’illustrer Shakespeare aussi bien qu’Atala, les Contes Drôlatiques de Balzac.

La médaille a son revers: mi-ironique mi-désabusé, Doré dira: » Désolé de n’avoir fait à 33 ans que 100.000 dessins ». Souverain et inégalable dans l’illustration, Doré est un peintre puis un sculpteur implacablement et -méchamment- critiqué alors qu’il sera adoré et fidèlement suivi à l’étranger, l’Angleterre en particulier. Son oeuvre peint a du mal, beaucoup de mal, à s’imposer. La féroce et obtuse critique du XIXème siècle s’en donne à coeur joie. Son talent de dessinateur lui-même est mis en doute. Chose très remarquable: c’est par les techniques modernes d’illustration, et de reproduction, la lithographie, la taille-douce qu’il s’impose en maître et le demeure. C’est la modernité du siècle qui le consacre et non sa critique.
Il convoque pour ce faire toutes les ressources du rêve, du féerique, de la piété, des visions infernales, de la folie, des paysages réels ou imaginés, de la reconstruction historique voire de la pure et simple poésie.
Gustave Doré souffrira beaucoup de cette réaction obstinée contre lui et passera de plus en plus intensément de périodes d’excitation et de suractivité à de profondes crises de mélancolie et de dépression. Ces cycles cyclothymiques s’accentueront avec la mort de sa mère.
Les enfants prodiges vieillissent souvent avec difficulté! Il mourra d’une angine de poitrine en 1883.

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