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Nathalie Ganem – Rendez-vous à l’Élysée

Par Etienne Ruhaud

L’épopée napoléonienne constitue une source d’inspiration intarissable, tant pour le cinéma, la télévision, que pour le roman et le théâtre. Comédienne mais aussi auteure de drames historiques (également publié chez l’Harmattan, La dictée évoque là encore l’empereur), Nathalie Ganem parle quant-à-elle de la chute, soit l’extrême fin des Cent-Jours. Le 21 juin 1815, quelques heures après le naufrage de Waterloo, Napoléon, retrouve Fouché à l’Élysée. S’ensuit un étrange dialogue, à trois voix…L’Harmattan, Paris, 2023.

UN DRAME HISTORIQUE PRÉCIS

Le soir du 21 juin 1815, donc, Napoléon est dans une situation critique. Trois jours plus tôt, l’homme a perdu, à Waterloo, face à la coalition menée par les Anglais. Informé de la défaite, Joseph Fouché, déloyal ministre de la police, interroge discrètement plusieurs membres de la Chambre des Représentants afin de savoir quelles mesures prendre. L’abdication de l’Empereur est naturellement envisagée, notamment pas Lafayette. Napoléon, qui souhaite se maintenir, projette d’installer une dictature temporaire, suggérée par son frère Lucien Bonaparte, et par Lazare Carnot, (1753-1823), tout en espérant que la Chambre l’appuie, ce qui éviterait d’employer la force. Informés de l’éventualité d’un coup d’État, les ministres et les différents représentants refusent de plier. Napoléon, toujours encouragé par son frère Lucien, hésite à dissoudre la Chambre. D’autres conseillers insistent pour que le souverain lâche le pouvoir, tout en faisant miroiter la possibilité d’un maintien détourné : alors âgé de cinq ans, le roi de Rome, fils de Napoléon monterait sur le trône, ce qui permettrait d’instaurer une régence, et donc d’assurer la pérennité d’une dynastie. Suite à diverses tractations, revers, Napoléon se trouve contraint de partir, avant d’être arrêté par les Anglais, et déporté à Sainte-Hélène, où il meurt en 1821.

Délicat, ici, sinon impossible, de décrire avec précision les circonstances historiques exactes, de résumer l’incroyable rebondissement que constituent les « Cent-Jours ». Impossible également de ne pas rappeler le contexte, puisque Nathalie Ganem a souhaité dépeindre la confrontation entre Napoléon et le félon Fouché, duc d’Otrante. L’essentiel de la pièce est ainsi constitué par une conversation tendue entre l’Empereur et Fouché, chacun tentant de justifier ses actions en attaquant l’autre. Fille adoptive de Napoléon, Hortense de Beauharnais vient soutenir l’empereur, y compris face à Fouché qu’elle exècre. N’écoutant pas Hortense, qui lui souffle d’écrire à son beau-père, l’empereur d’Autriche (Napoléon ayant épousé, en secondes noces, Marie-Louise, petite-nièce de Marie-Antoinette), le grand homme précipite, sans le savoir, sa chute. Ainsi se clôt la pièce.

BREF, MAIS AMBITIEUX

Respectant (volontairement ?), la règle des trois unités propre au théâtre classique (soit un lieu, une journée, et une action), écrit en prose, Rendez-vous à l’Élysée semble donc, a priori, fidèle aux circonstances historiques. Plusieurs maximes célèbres, prononcées par Napoléon, en d’autres circonstances, apparaissent ainsi au fil des pages, comme Impossible n’est pas français, ou encore ce mot rapporté selon lequel Talleyrand serait de la merde dans des bas de soie. Napoléon comme Fouché se renvoient par ailleurs leurs torts à la figure : le duc d’Otrante rappelle à tout moment le caractère dictatorial de Napoléon, qui a ensanglanté l’Europe et sacrifié la jeunesse française, quand l’empereur, lui, rappelle à Fouché ses multiples fourberies, de même que sa sauvagerie durant la Terreur, période durant laquelle le Montagnard a fait massacrer de nombreux opposants. L’intérêt du drame réside ainsi en cet affrontement rhétorique : Nathalie Ganem raconte parfaitement l’histoire du pays, et presque toutes les fortunes traversées en trente ans, depuis la prise de la Bastille jusqu’à la chute de l’Empereur, naguère jeune général corse ambitieux, devenu souverain. Plus effacé, le personnage d’Hortense reste spectateur, et incarne pour partie la voix de la Raison, puisqu’elle tente de sauver son beau-père, et donc sa propre famille.

UNE PIÈCE HONNÊTE

Sans doute pourrons-nous reprocher à Nathalie Ganem l’aspect parfois « scolaire » de la pièce. Certaines citations semblent plaquées là, comme s’il s’agissait d’un cours mis en scène. Tel est l’écueil du drame historique, en tant que genre. Cependant, le style alerte, les diatribes que s’adressent les protagonistes, font de ce Rendez-vous à l’Élysée une pièce vivante, qui ravira des amateurs d’Histoire, attachés à l’exactitude. La passion de l’auteure pour cette période troublée transparaît à chaque ligne. Court, incisif, ce Rendez-vous ne brille certes pas par l’originalité du thème choisi, mais ne contient aucun temps mort. Notons, pour les plus motivés, que plusieurs représentations sont prévues à Paris, au théâtre de Nesle, à partir du 2 décembre 2023.