Lettres

Un nouveau riche et son musée
La maison de Rubens

Par Henri-Hugues Lejeune

Voici que, de la Flandre Occidentale, traversant la Belgique, nous parvenons à la trépidante Anvers, la ville la plus « active » du pays ? Cinq kilomètres dans ce pays obstinément composite métamorphose l’environnement : rien n’y est jamais semblable.
J’avais pour ma part un très ancien passé anversois de séjours familiaux et de longues promenades solitaires et exploratrices dans tous les coins possibles et imaginables. C’était le lieu d’origine aussi de ma grand-mère paternelle, de mes racines belges où vivaient deux des cousins germains de mon père, mes oncles à la mode de Bretagne.
L’aîné d’entre eux était un grand collectionneur de peintres flamands anciens de renommée internationale : je logeais chez son frère cadet, contemporain et ami de mon père dont la jolie fille, un peu sotte l’appelait « Le Primitif » ce qui était un contresens flagrant. J’avais fait chez lui quelques pèlerinages respectueux afin qu’il puisse me les faire admirer à son aise : il m’avait fermement indiqué une visite à la Maison de Rubens comme un pèlerinage indispensable et de toute façon je n’aurais eu garde de ne pas me plier à son injonction.
Quoique orgueil de la ville elle était alors fort délaissée mais nul ne s’en préoccupait vraiment : la culture ne figurait pas alors dans les rouages politiques municipaux de par toute l’Europe d’alors, et spécialement en Belgique où les gens sont réalistes au point d’en être terre-à-terre !
Mon oncle devait je crois devenir bientôt très actif parmi les « Amis de la Maison de Rubens » qui entreront en action pour mettre la pression sur la rénovation de ce joyau local.
J’avais donc en surimpression la distante mémoire que j’avais pu en conserver il y a plus de septante ans comme on disait encore là-bas si l’on se souciait encore d’y parler français.
Plus aisément à Anvers qu’ailleurs car ici l’on n’y mettait aucune hargne : on avait autre chose à faire.
Un souvenir m’avait dominé, passées les nombreuses pièces d’une vaste maison Renaissance, classique, bourgeoise ou seigneuriale, bourgeoise sans doute car destinée à servir à quelque chose :héberger et permettre à son occupant d’exercer sa prestigieuse activité, ce vaste espace consacré à l’atelier, qui m’avait fait songer à une sorte d’amphithéâtre ou la scène d’un théâtre proprement dit où dans mon imagination le Maître, assisté de ses plus proches collaborateurs, dominait un espace de travail où s’activaient les petites mains de la vaste entreprise de peinture qui dominait la scène artistique qui lui était contemporaine.
Cette vision se vit corroborée, mais peut-être pas dans l’optique un peu sommaire qui avait été la mienne.
Mais le vaste ensemble que la « Maison de Rubens » contemporaine tente de rétablir, de consolider et de faire vivre était alors complètement en pointillé s’il est toutefois vrai que je n’avais pas envisagé bien sérieusement de réagir comme aujourd’hui à l’égard de ce que je voyais là.
Les visiteurs actuels sont mis en face au plus près possible de celle qu’il avait conçue et réalisée car il l’avait menée de bout en bout telle qu’il l’avait souhaitée en 1610 dans cet idéal « Renaissance » qui était le sien. Nul n’envisageait alors l’idée d’une « période Renaissance » afférente au XVIème siècle par rapport à un « classique » XVIIème !
Rubens a voulu, en 1610, ériger à Anvers, à son usage, un palais à l’Italienne correspondant à ses souhaits, à ses plans, à sa taille, et voilà ce qu’il en est.