Lettres

La rage d’écrire

Quelques centaines de romans paraissent à cette rentrée littéraire. Beaucoup ?
Chaque année, en France, 70 000 livres sont publiés. Enorme ?
Malgré cela, 40 000 manuscrits, dont des milliers de romans, ne
trouvent pas preneurs chez les éditeurs submergés.
Des centaines de journaux et des milliers de magazines remplissent les
kiosques ou les boîtes à lettres. Pour finir souvent à la poubelle, à
l’instar des tracts publicitaires..
Comme les 100 millions d’exemplaires de bouquins qui sont pilonnés par
an, pour 500 millions de livres vendus remplissant à ras bord les bibliothèques.

Toujours en France, 5 millions de journaux intimes s’écrivent
fiévreusement, dès le plus jeune âge, en sus des blogs et des sites
tout aussi proliférants. Des dizaines de millions de rédactions sont
notées par les professeurs,
inventant des écrivains en herbe.
Chacun envoie, peu ou prou, quantités de mails et de sms, en sus du
courrier timbré, soit des milliards de messages, électroniques ou non.
Jamais on a autant écrit. Jamais l’écrit n’a autant proliféré, pour
demeurer ou plus sûrement disparaître.

Dans ces conditions, y aura-t-il bientôt un permis d’écrire comme il y
a un permis de conduire, Avec son corolaire, un permis de publier à
l’instar du permis de chasser ?

On apprendrait ainsi par cœur le Code de l’écriture avec ses pièges
grammaticaux ou de syntaxe, ainsi que les règles de bonne conduite
orthographique, à l’imitation du Code de la route, ce qui
n’empêcherait pas les fous du volant de conduire sans orthographe ni
raison.

Des concours seraient organisés où l’on tournerait en rond sur des
pistes en brandissant son dictionnaire préféré pour assommer son
voisin d’écriture. On inclurait dans le permis le graphotest contre
l’addiction des mots ou la graphomanie, au même titre que l’éthylotest
après une bonne cuite.

On assisterait aux séances des Plumitifs Publicitaires, comme d’autres
aux Alcooliques Anonymes, où s’opposeraient le camp des Moi
individualistes au clan des Egos sociaux. Des ateliers d’écriture
seraient mis en place à tous les âges, dès le ventre de la mère, où
l’on enseignerait le Babil et le Babel.

La lecture des 100 premiers Prix Goncourt serait rendue obligatoire,
depuis John-Antoine Nau à Jacques-Pierre Amette en passant par le
regretté Maurice Bedel.

Le droit d’écrire, ainsi que son corolaire le droit de publier, serait
inscrit dans les Droits de l’Homme et du Cochon.

Oui, la rage d’écrire en France, comme ailleurs, sévit, car nul
Pasteur n ‘a inventé de vaccin.

Mais qui a le goût de se taire, de ne pas parler, de ne pas écrire ?

Un Bonze dans sa cabane, au temps du Japon ancien.

Armel Louis