3.Romanti…Q
Par Michel Poivert
Faut-il voir dans cette exposition de trois photocollagistes le symptôme d’un regain du genre dans la création contemporaine ? Issu de l’histoire des avant-gardes, mais tout aussi bien de pratiques vernaculaires, le photocollage a connu ses heures de gloire lors des avant-gardes historiques (de Dada au Surréalisme), puis aux grandes heures de la contre-culture des années 1960-70, où l’iconographie médiatique passée au scalpel a servi à délivrer des messages contestataires. Aujourd’hui, essentiellement pratiqué par des artistes femmes, le photocollage réapparaît avec une vigueur inattendue. Alors que l’époque nous cantonne à l’autocensure, de nouvelles générations partent au combat. Le craftivisme – cette attitude associant pratiques domestiques revisitées et militantisme – ne pouvait pas ignorer les vertus du découpage et du recollage des images véhiculant nos stéréotypes. Il n’est donc pas étonnant de voir que le corps y est mis à l’honneur. À l’heure où les genres sont bousculés, les rapports de séductions repensés, les formes désirantes se renouvellent avec éclats.
Le photocollage est la forme plastique des manifestes. On peut y jouir des luttes de façon inédites, en provoquant nos habitudes et convenances. Voici des poses à la luxure inattendue, des organes qui fleurissent et se coulent dans de tendres pliures, des couleurs de carnations qui inversent les jours en nuits, des fruits qui peinent à cacher leur union avec le péché. C’est la corne d’abondance de l’irrévérence qui se déverse dans nos yeux, tout est fictif mais conduit à nous réinventer, c’est la magie du photocollage : le réel explose en potentialités où le secret des alcoves éclaboussent les places publiques. Les trois propositions des photocollagistes composent un menu offert dans le secret d’un désir, où la manne clandestine s’échange symboliquement non sans vous mettre l’eau à la bouche. Mais attention, les photocollages ont cette particularité de cacher des épines sous les pétales, du fer sous le velour : c’est un pacte qu’il faut accepter de signer pour y trouver une façon originale d’aimer.
Il en va ainsi des images orphelines vouées à de périssables destin, illustrations chics et clichés pornos peuplent la cour des miracles des images, et les voici reconvertis en petites coupures érotiques et sentimentales, en larges entailles traversant les cœurs, en messages à peine secrets déclarant leur flamme à qui brûle déjà de les toucher. Il en va ainsi de tout photocollage, il est le fruit de l’autoengendrement des images, il est la sexualité absolue de la parthénogénèse, figure improbable d’un onanisme fertile.
Les trois artistes offrent ainsi des échantillons d’extase qui font fi des canons d’une beauté définie par le seul regard dominant. Les ciseaux ont quitté depuis longtemps les boîtes à couture pour découper les lettres anonymes que l’on adresse aux corps convoités. Les femmes photocollagistes ont la fougue des « pussy riot » et forment entre-elles une tresse dont les brins peuvent se transformer en fouet. L’exposition forme une grenade chorale dégoupillée, face à laquelle on prendra garde de ne pas oublier que tout travail de découpe est suivi d’un réajustage chimérique. Autant dire que ce qui fait mal offre aussi l’occasion de se réparer.
Photocollages de Sidony Cloud, Justine Fournier et Mylène Vignon
Concert « Mistifs trio » samedi 13 janvier de 17h à 20h
Exposition visible Jusqu’au 27 janvier 2024
Galerie Basia Embiricos
14 rue des Jardins de Saint Paul – 75004 Paris
Les jeudis vendredis et samedis après-midi