Regards

Chronique n°2 d’Alain Pusel

Masquerade - Lost in Bernardo

Enfant je regardais les aventures de ZORRO ; « un cavalier qui surgit du fond de la nuit » (1) et de l’écran de l’ORTF, qui montrait vraiment deux visages : sans le masque Zorro n’était que Don Diego, hidalgo de Californie, élégant avec sa fine moustache et ses vêtements de chanteur d’opérette. Oh, cette belle et large écharpe portée à la ceinture… Luis Mariano portait-il les mêmes costumes à la scène ? Dans Zorro Diego ne faisait vraiment pas le poids vis-à-vis d’un personnage important : son père. Don Alejandro, imposant et distingué, jouait Don Diègue dans le Cid face au mistral du Festival d’Avignon, impressionnait tout le monde et avait grande autorité sur son fils. Oups, pardon, je mélange avec Jean Vilar ! C’est Guy Williams qui joue Diego/Zorro et non Gérard Philipe ! Et, autre complexe pour Diego :  la fille d’un ami d’Alejandro, Anita Cabrillo, amoureuse de Zorro, lui montre son indifférence voire son dédain : il n’a vraiment rien d’un héros. Tout cela dans la Californie mexicaine qui ne devient américaine qu’en 1848 (en France cette année-là, on refait une Révolution). Certes, devenu Zorro et éperonnant Tornado, la belle cavale à la robe noire, agissant au beau milieu de la nuit pour lutter contre le crime et l’injustice, le Diego masqué, qui peine parfois à respirer avec son masque – à chaque prise le comédien interroge l’accessoiriste pour en avoir un moins épais –  se découvre plein d’audace et de courage. Il ne manque pas de ridiculiser au passage le bon Sergent Garcia, l’Obélix de cette Californie délicieusement H – H (Hollywoodo – Hispanisante). Si Obélix bénéficie d’un contrat aidé pour livrer des menhirs on se demande pourquoi Garcia est conservé dans une armée (mexicaine) naïve, profuse, inorganisée. Le gros Sergent ne sait pas plus faire fonctionner ses jambes que ses maigres neurones. Zorro le ridiculise à chaque fois. Avec un « Z » comme Zorro, inscrit « à la pointe de l’épée ». Le masque, ce Loup de velours donne grande vertu à ce Renard (traduction de Zorro), ainsi le personnage effacé et soumis de Diego devient radicalement autre. Mettez votre masque, quel qu’en soit le coût, et vous deviendrez plus audacieux ! Indomptable et généreux ! Vous en serez transformé ! Résumons : Il y a toujours moyen de recréer cette situation de héros masqués, avec des pères à forte personnalité imposant leur quant-à-soi, de trouver des Sergent Garcia bis, sans uniforme : quelques hommes en surpoids issus de zone urbaine, fiers embonpoints sur pattes. Quant à la fille jolie et condescendante Dona Cabrillo, vous êtes nombreux à m’indiquer, avec l’index pointé sur votre répertoire, une personne du beau sexe qui vous paraît correspondre au rôle. Pas de souci pour l’entrée en scène d’une Señora orgueilleuse et revêche. Nous pouvons alors envisager une version tout à fait satisfaisante : un remake de la Californie et de Los Angeles de 1820 à Paris dans la charmante Île-de-France de 2020 ; avec l’été indien, pas besoin de pousser les projos : gestes barrière et réflexe écolo sont réunis. Avec Zorro, Zéro défaut ! Mince ! Zut ! Zaperlipopette ! Il manque un ingrédient et non le moindre : celui sans qui rien n’est possible : Bernardo ! Le domestique de Don Diego ! On est bien là dans la dialectique du maître et de l’esclave (l’esclave devient vite le maître de son maître puisque ce dernier ne sait rien faire)… Dans ce royaume masqué de la nuit où tout s’inverse, le véritable super héros c’est donc lui, Bernardo. Il est muet, petit, presque chauve, mais ni sourd ni idiot. Il devine, enquête, est la courroie de transmission de l’information et chef du raisonnement de Don Diego, notre jeune premier un rien falot (il n’est pas Gérard Philipe). Bernardo est sublime ; maître de la gestualité et détenteur de tous les secrets de Zorro – c’est lui, qui, dans chaque épisode, dans mes souvenirs en noir et blanc, d’un auguste geste de l’index gauche, dessine devant le nez de son maître la lettre Z. Il signale à Diego que c’est l’heure d’agir ; que Diego mette sa robe de chambre et lise un livre de contes devant la cheminée, durant quelques minutes, devant les soupirs affligés du paternel : – comment ai-je pu engendrer pareille mauviette ? Ce n’est pas avec Diego qu’on partirait à cinq cents et qu’on se retrouverait à trois milles en arrivant au port (de Los Angeles)… alors, vite, Don Alejandro ayant vu de ses yeux vu son fils en gravure de mode, que Diego se change en Zorro, et « court vers l’aventure au galop ». Diego aura toujours l’alibi fourni par le chagrin de son père, si le soupçonneux Commandant Enrique Sanchez (olé) Monastario veut vérifier l’emploi du temps de la veille au soir du garçon mollasson. Il faut bien qu’il y ait un méchant dans cette histoire. Dans notre adaptation, il s’agit du rusé et fourbe Don Viruso. Le problème demeure : comment trouver un Bernardo ? Nous avons tous les zorros possibles, en plus de nous tous – dès qu’un Ministre met un masque, paf, il est puissance zorro. Le Premier Ministre met un masque, paf, il est un Premier Ministre complètement zorro ; lorsque le Président met un masque, paf, on en oublie le tout en contrôle Don Macro, c’est la magie de l’éclair, c’est la magie du moment zorro. Mais Bernardo ? Celui qui est omniscient et qui a toujours le sens du timing, comment le dénicher ? Celui qui nous aurait dessiné exactement quand il fallait mettre le masque, comment il fallait le mettre hier pour mieux le porter aujourd’hui… tous les zorros que nous sommes devenus, nous allons, venus du fond de la nuit en découdre et en finir avec ce Don Viruso, qui empoisonne toute la Californie du monde d’avant et toute la région parisienne du monde d’après ! Gene Sheldon, come back ! Gene, reviens ! Gene Sheldon, le comédien qui a joué Bernardo durant 82 épisodes !! Viens nous aider pour affronter le nôtre : Zorro chasseur de Pandémie, quatre-vingt-troisième aventure ! Dans le monde d’après, quelle panade, on a tous les masques qu’on veut – mais pas un seul Bernardo à la hauteur, pour d’un seul geste casser les voies de transmissions, avec un Z magistral tracé à chaque terrasse parisienne, dans l’air chaud et enveloppant de septembre. Las, tous ces Renards que nous sommes devenus restent désorientés : la sagesse et la sagacité de Bernardo nous sont deux traits béants au côté droit. Nous errons, désemparés, masqués et oppressés, dans l’attente du vrai signal qui nous ferait « surgir hors de la nuit » pour renouer avec l’émerveillement de l’enfance et signer la fin de ce cauchemar fait de tissus et d’anxiété.

(1) Paroles en français de la chanson de Zorro, générique de la série télévisée, produit par Walt Disney, diffusée aux USA en 1957 et en France pour la première fois en 1965 sur les écrans de la légendaire ORTF. Des rediffusions suivront dont celle de 1992, avec la déplorable colorisation