Le collage est poésie (Jiri Kolar)
Par Ghislaine Lejard
Cette citation du poète et collagiste tchèque Jiri Kolar illustre parfaitement le lien étroit entre l’écriture poétique et la création de collages. Créer un collage c’est pour lui écrire un poème. Il a d’abord été poète et a publié ses premiers poèmes en 1938. Il abandonnera l’écriture poétique pour le collage, puisque pour lui le collage est écriture et écriture poétique. Il nous montre dans son expérience littéraire et artistique combien sont indissociables poème et collage. Le collage est une poésie qui s’émancipe des mots, une poésie visuelle : « A un moment donné, après une lente maturation… mes vers se sont brisés et je me suis mis à chercher la poésie en dehors des mots. »
Victor Hugo déjà s’était intéressé au collage encore balbutiant, on parlait alors de découpage et assemblage : « Une simple paire de ciseaux fait jaillir de l’obscurité une incroyable architecture. »
Dans son ouvrage Voleurs de feu François Bon évoque les boîtes à thé que Stéphane Mallarmé remplissait de fragments de papier et de bouts d’enveloppes…On se prend à rêver à des collages qu’il aurait peut-être réalisés…
Pratique séculaire populaire, l’art du collage doit ses lettres de noblesse à Picasso et Braque dans les années 1912, depuis il accompagne l’ensemble des courants artistiques. Dès 1913 le poète Guillaume Apollinaire dans son ouvrage Méditations esthétiques évoque son intérêt pour cet art nouveau : « On peut peindre avec ce qu’on voudra, avec des pipes, des timbres-poste, des cartes postales ou à jouer, des candélabres, des morceaux de toiles cirées, des faux-cols, du papier peint, des journaux… » Très tôt aussi André Breton est attiré par le collage et son poème Pour Lafcadio (1918) se termine ainsi :
« Mieux vaut laisser dire
Qu’André Breton
Receveur des Contributions Indirectes
S’adonne au collage
En attendant la retraite. »
Son intérêt pour cet art qu’il a pratiqué, il l’a transmis à sa fille Aube Elléouët, collagiste reconnue.
Louis Aragon considère que cet art met la peinture au défi dans un article qui paraît en 1930 La peinture au défi. Paul Eluard collectionne les cartes collages de Max Ernst dont L’aigle qui fait partie de cette collection. Le collage sera popularisé par les œuvres du poète Jacques Prévert, ses collages accompagnant ses poèmes comme dans Fatras.
On ignore souvent que le poète de l’Ecole de Rochefort Jean Rousselot était lui aussi collagiste et ce n’est peut-être pas par hasard si l’un de ses romans s’intitule Les papiers même si on n’y parle pas de collage ! Fort heureusement un article de Philippe Lemaire, dans le Nouvelle Revue Moderne de avril 2004, rappelle cet aspect de la créativité de Jean Rousselot, il y évoque la publication du recueil à tirage limité : Poèmes et collages et l’on peut lire ces mots du poète collagiste : « Depuis quelque trente ans, je me suis consacré à ce moyen d’expression avec beaucoup plus d’ambition, presqu’autant qu’à ma poésie… »
Le poète et collagiste Pierre Jean Varet (1) auteur de nombreux ouvrages de référence sur l’art du collage confirme que l’histoire de l’art du collage est lié à la poésie : « Je n’ai pas la sensation de faire du collage mais plutôt de réaliser à l’aide de quelques papiers et de la colle des poèmes que j’aurais eu la paresse ou la lucidité de ne pas écrire. Il n’est pas étonnant que collage et poésie soient si proches car la poésie comme le collage se sert d’éléments de la réalité pour approcher une dimension intérieure. » Et imitant le poète Rainer Maria Rilke qui avait adressé une lettre à un jeune poète, Pierre Jean Varet écrit une lettre à un jeune collagiste, lettre publiée dans son ouvrage L’art du collage dans tous ses états.
Pour la poésie, comme pour le collage, on peut parler de travail en creux qui multiplie les sens. La poésie assemble, juxtapose les mots pour une composition qui approche la dimension intérieure. Le collage comme la poésie est porteur de cette dimension. Le collagiste se pense et pense en image, comme le poète selon la belle expression de Pierre Reverdy : « Le propre du poète est de penser et de se penser en image. ». Il n’est donc pas étonnant que certains poètes contemporains soient aussi collagistes (2).
Depuis son origine, la création de collage est traversée par l’écriture et particulièrement par l’écriture poétique car elle approche comme la poésie au plus près du silence, ce que dit Jiri Kolar : « le collage, un poème de silence. ».
La juxtaposition de fragments qui s’assemblent de façon le plus souvent aléatoire et mystérieuse, donne à regarder une poésie visuelle qui interroge celui qui la crée tout autant que celui qui la regarde. Elle ouvre sur un espace nouveau, une géographie intime, insoupçonnée et qui se révèle à la création du collage.
Notes
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Pierre jean Varet écrivain collagiste spécialiste de l’art du collage, auteur de nombreux livres sur l’art du collage dont : Les techniques de l’art du collage – L’art du collage au cœur de la création – La liberté est un collage – L’art du collage dans tous ses états… Fondateur du musée Artcolle à Plémet qu’il anime avec la collagiste Sylvia Netcheva ( Plus de 200 œuvres, 180 artistes de 23 nationalité ) 1 Place du Général De Gaulle Plémet.
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Quelques poètes-collagistes contemporains, liste non exhaustive : Mary Beach – Pélieu- Marie- Josée Christien – Agnès Cukier – Dubé Mathieu – Jean-Pierre Gallais – Marie-Laure Missir – Patrick Navaï – Gérard Noiret – Claude Pélieu – Guy Savel – Ivan Sigg – Mylène Vignon – Wendie Zahibo …