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Artaud Passion – Théâtre

Par Kat Sroussy

Incandescent et bouleversant.

Artaud Passion est une très belle pièce écrite par Patrice Trigano, galeriste et écrivain, éditée en 2016 chez Nadeau, jouée pour la première fois, au théâtre de l’Artéphile à Avignon, mis en scène par Agnès Bourgeois. Elle privilégiait le côté noir de Artaud, misérable, imprégné par son malheur, ses souffrances et sa folie.

La pièce fut reprise quatre fois dans différents théâtres d’Avignon au Roi René, aux Gémeaux et maintenant dans ce haut lieu de culture de la Cartoucherie : à l’Epée de Bois, mis en scène par Ewa Kraska, fondatrice de la compagnie Itek à Reims, très engagée. Elle a en particulier travaillé sur la vie de Witold Gombrowicz.

En découvrant Artaud Passion elle voyait en lui un précurseur des rappeurs, un être contestataire, une sorte de Freddy Mercury de la poésie du XXème siècle, un personnage lumineux avec simultanément différents aspects : spirituel, violent et doux, sombre et éclairant, une vraie torche vivante.

« Ewa a proposé sa vision plus décalée et même futuriste. Alors j’ai joué le jeu en acceptant ce nouveau point de vue » nous confie Patrice Trigano, « cela a apporté un changement radical au spectacle, bien que la première version fût assez en accord avec ce que je voulais exprimer. »

-Pourquoi Artaud, Patrice Trigano ?

« A l’âge de dix-huit ans, terrassé par de graves problèmes de santé, je lisais beaucoup et ai trouvé en Artaud, Nietzsche et les Surréalistes, la force de lutter, la volonté de me battre pour vivre un monde en pleine liberté.

Nostalgique de cette époque, fasciné par Antonin Artaud, en proie à de fortes réminiscences de mon intérêt pour la pensée transgressive, pour le lien entre art, révolte et folie, j’éprouvais le besoin presque vital, de m’inspirer de sa vie dans plusieurs de mes écrits : La Canne de Saint Patrick et Artaud-Passion. Auparavant, j’avais échangé avec Bernard Dufour, Mathieu, Albert et Pierre Loeb ainsi qu’avec Florence Loeb qui l’avaient tous connu.

D’ailleurs dans ma galerie, je consacre mon travail avec constance, à la liberté en représentant des artistes engagés et subversifs, ce qui pourrait s’apparenter à ma démarche littéraire.

Le regard insolite, amoureux, intimiste de Florence fut déterminant pour mon écriture. Toute sa vie elle a vécu dans les souvenirs de Artaud, malgré son mariage avec Romain Weingarten.

Elle s‘était rendue aussi chez les Indiens de Tarahumaras chez qui Artaud consomma des substances hallucinogènes pour suivre sa trace ainsi que dans des pays visités par le poète.

Chez elle, à plus de quatre-vingts ans, elle gardait un planisphère piqué de soixante-dix épingles retraçant les voyages réels, irréels ou-hallucinatoires- de Artaud.

Celui-ci l’avait connue alors qu’il présentait des dessins à la galerie prestigieuse de son père Pierre. Elle n’avait que seize ans et fut subjuguée par ce personnage hors du commun, libéré de neuf ans d’internement à l’asile de Rodez. Une intimité surtout intellectuelle dura au moins deux ans. Il l’initia à la poésie, à la pensée libre et révoltée, et sûrement à certaines drogues. »

La pièce est l’histoire, librement inspirée de la rencontre ambiguë de Florence et de Artaud.

Contaminée par la folie de Artaud, Florence est allongée dans un lit d’hôpital ou de galerie !

Elle rêve de lui et semble délirer, se mêlant à lui, en criant son amour. Artaud apparait dans un jet de lumière, ressuscité tel Orphée au retour de la mort. Une voix de l’au-delà, puise sa force dans la musique expérimentale, la projection d’œuvres, la gestuelle douloureuse, les hurlements dus aux électro-chocs. Tout cela campe ce personnage psychédélique.

Une grande opposition sépare leurs deux discours, l’une est obsédée par ses souvenirs et fantasme à propos de ses bourreaux, de ses écrits, de son mal-être ; l’autre réfute avec force en la faisant rire à propos de Louis Jouvet, en affirmant que son médecin était loin d’être un bourreau, au contraire, bienveillant et encourageant. Il déclame debout sur le lit, sa lutte contre les mensonges, contre une société pourrie et décadente, sans espoir ni pour les enfants ni pour l’avenir. Il hurle sa conception magnifique du théâtre : le Théâtre de la Cruauté.

La pièce se termine par une lettre à sa mère emplie d’un amour infini : « Je suis fou, je suis un monstre, je t’aime et je le regrette. »

 

Artaud avait été soigné par Lacan qui l’a déclaré : Irrécupérable.

Très jeune il avait déjà des problèmes psychiques conséquents, pourtant Florence témoigne de ses moments très agréables à Saint Germain des Prés.

Avant de sortir, le matin, il déchargeait toute son agressivité maladive en tapant sur du bois avec un marteau.

Il avait des rapports amoureux mais non sexuels, avec Anaïs Nin, Génica Athanasiou…

Ce fut un artiste, un comédien, un écrivain surtout un poète génial. Par exemple il a écrit en deux jours, au-dessus de la galerie Pierre : Van Gogh, le suicidé de la société.

 

Les comédiens :

William Mesguich est l’incarnation vivante de Antonin Artaud, son interprétation éblouissante est de l’ordre du surhumain.

Nathalie Lucas joue avec une sensibilité, une justesse et une force remarquables.

 

ARTAUD- PASSION à l’Epée de Bois- Cartoucherie de Vincennes du 4 au 21 Mai 2023