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Pas brut du tout le Jaber

Par Théodore Blaise

L’art brut, ça n’existe pas.  Et pas de “pourquoi pas », ça n’existe plus !
L’usurpation de ce syntagme employé à toutes les sauces libertaires à propos de pratiques qui confondent licence et liberté, peu de savoir-faire avec le « non-faire », est en vogue. N’est-ce pas un des penchants du monde de l’art que de baptiser d’un nom « banquable »,tout et n’importe quoi, des machins et autres riens pour qu’ils brillent sous une appellation usurpée.

Dès 1952, Jean Dubuffet a considéré qu’il avait plus de raison d’utiliser ce vocable, ce qu’il avait collectionné et présenté sous ce nom appartenait au passé. Force est de reconnaître que son travail de collectionneur avec produit ses effets chez les intellectuels et le public.
De nombreux artistes, en vinrent alors à se revendiquer de l’art brut, trahissant alors ce qui en était l’essence même : être exécuté par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels donc le mimétisme, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Jean Dubuffet : L’art brut préféré aux arts culturels, 1949.

Relisons cette phrase qui impose comme conclusion que toute revendication à faire de l’art brut relève d’une absurdité sinon d’un conscient larcin.

L’art brut n’existe plus, tout comme une comète qui est passée, il a laissé dans les esprits la trace d’une vive, essentielle brûlure que sous le péristyle du temple de l’art on agite, sans dégoût pour la malversation que cela constitue. À ce titre une exposition au CREDAC à Ivry intitulée « J’aime le rose pâle et les femmes ingrates» accueille l’artiste Sarah Tritz. Née en 1980, cette artiste polymorphe peint, dessine, sculpte et prétend convoquer à travers le piteux de ses interprétations, les esprits des plus grands, d’ici et d’ailleurs, d’aujourd’hui et d’hier. Elle n’a peur de rien, et se permet d’affirmer (M du monde, 26 octobre 2019)  que dans son travail, « elle a la même jubilation devant l’art conceptuel et l’art brut« . Précisons qu’ici ne règne rien de la rigueur de Joseph Kossut ou de On Kawara. Inutile aussi d’évoquer l’indécence à se revendiquer de cet art venu de l’exclusion, de cet « art où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe.«  (Dubuffet). 
Art du caméléon, art culturel, que celui de madame Tritz. 

Il en est aussi de « Jaber maître de l’art brut »,  titre fanfaron de l’exposition présentée voilà deux mois à l’espace Christine Peugeot. Serait-ce parce que Dubuffet à l’initiative de Madeleine Lomel lui aurait écrit une lettre, et une seule, qu’il est à ranger aux côtés de Forestier et Wolfly – tous deux assassins, repentis par l’art – d’Aloise – schizophrène –, Magde Gil et Jeanne Tripier – médiums dérangées –…, convenons que cela est bien insuffisant, mais pour lancer une aventure commerciale, pourquoi pas…

Bonheur pour tous est le titre de l’ouvrage de Laurent Lefebvre publié par les éditions Area. Il repend cette phrase qu’appose souvent Jaber sur ses tableaux et qui résume autant ses règles de vie que son programme plastique.

En suivant les pages de ce livre, en visitant l’exposition documentée qui se tient jusqu’au 15 novembre, on découvre les diverses facettes de cet homme, musicien chanteur, boxeur…, voulant ne s’attacher à rien ni à personne, n’ayant comme boussole que sa liberté et son humeur. Il chante et mime sur la Piazza de Beaubourg et vend ou offre ses dessins et peintures à qui en veut à qui lui plaît. Il sabote toutes les initiatives qui lui sont proposées pour jouer dans la cour du marché parce que dit-il « l’art, la poésie, c’est là-haut ». Et l’œuvre que tout cela dessine est sa vie. Sa vie, œuvre insaisissable, imonnayable surtout.

Ses travaux picturaux sont les ombres lumineuses des jours et de ses pensées. Laurent Lefebvre nous aide à comprendre qu’il évoque ici une mère qu’il n’a pas connue, une femme qu’il a peut-être aimée. Quand il sculpte un bout de pain, c’est qu’il reste attaché à son premier métier, boulanger… Les couleurs sont toujours vives, elles s’accordent malgré des dissonances prodigieuses qui produisent des effets étonnants. Son trait qui vient comme un cerne ménager des plages confère – même dans les plus petites œuvres – un aspect monumental qui évoque Jorn ou Appel, les grandes heures de Cobra. Le deuil du trait ne peut éteindre l’appel au vivant de ses  tons souvent inédits.

Et Jaber n’est pas en dehors de son temps, il en est même le témoin, tant il peut évoquer les évènements du moment, les grands, les petits, s’attacher aux acteurs politiques, en haut de l’affiche il y a Chirac qu’il représente de mille manières. Toujours en échos avec l’actualité, Chirac contre Sarko, Sarko et Ségolène en bateau, Obama… L’utilisation  sur ses toiles de bandeaux narratifs lui permet de juxtaposer plusieurs récits, en cela il est très près des œuvres de la figuration narrative, là où la peinture est un espace/temps. Mais tout cela il le fait avec une intelligence rentrée, forgéepar ce qui lui est le plus intime, ses craintes pour lui et le monde, ses joies.

Si Jaber est un maître, il ne l’est que de lui-même, et cela pour incontestable que cela soit nous le rend à tout jamais précieux.   

Sarah Tritz : J’aime le rose pâle et les femmes ingrates

Du 13 septembre au 15 décembre 2019

Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 18h,

Centre d’art contemporain d’Ivry – le Crédac
La Manufacture des Œillets
1 place Pierre Gosnat, 94200 Ivry-sur-Seine

Jaber Bonheur pour tous 

Area, 39 rue Volta 75003 Paris

Ouvert du mercredi au vendredi de 14h à 19h

www.areaparis.com

01 45 23 31 52