Evenements

Fado, Saudade, Rego

Par Théodore Blaise

Qu’emporte-t-on de son pays dans cet autre où l’on émigre poches vides et semelles claires, seulement ce qui remplit le cœur. N’en doutons pas, ce qu’il contient : les forces de l’esprit de sa patrie. Paula Rego est portugaise et son souffle est celui du Fado.

Pas celui qu’on débite aux touristes dans les rues tortueuses d’Alfama, mais celui qu’un peuple tient en son âme. Ce qui anime cette musique est la Saudade, un sentiment aussi étrange qu’intraduisible qui mêle dans un rêve éveillé les plus contradictoires énergies.

La Saudade relèverait d’un immense pessimisme si cela n’était pas justement chanté d’une voix qui répare les déchirures et magnifie même les plus terribles.

C’est tout cela qu’on a pu voir à la galerie Sophie Scheidecker, là était l’insupportable des traumas féminins tandis qu’à l’Orangerie des Tuileries, ne sont présentées que ce qui semblent des réminiscences d’un être qui voudrait rester à tout jamais une petite fille.

Dans le Journal Le Monde Philippe Dagen dit que « l’art de Paula Rego est profondément scandaleux, chargé de sous-entendus sexuels, irrespectueux de toute décence, crûment satirique et susceptible de susciter dans l’esprit du spectateur de très mauvais rêves. » (Le Monde du 23 octobre 2018)

De là à l’interdire au nom des bons rêves, et mettre dans le même sac Goya, Ensor, Velickovic et Witkin…

L’art de Paula Rego est empreint de Saudade, quand l’évocation des viols est portée par un trait qui les sublime. L’horreur est nécessaire à l’homme, la combattre est un honneur.

L’horreur donne à l’inconcevable la dimension qui nous le rend adversaire possible, à condition d’y mettre du courage. Courage de dire sans emphase et voyeurisme. Seule la poésie, l’insoutenable poésie peut nous en préserver.

Paula Rego est une immense poète dans ses pastels notamment et par l’immonde qu’elle aborde sans aucune faconde expressionniste. Le pire ne mérite aucune exagération, ne supporte aucun pléonasme, l’artiste ne fait que se tenir debout devant lui.

L’origine du mot Fado serait Fatum, du latin : destin.  La Saudade qu’il exprime fait qu’en face d’un viol, un fin filet d’optimiste survient, tel le son d’une eau claire dans une nuit de tombe. Saudade, quand un couple danse sur les lèvres d’un volcan…

Chez Paula  Rego,  couleurs, traits sont gourds, parce qu’ils ne font pas art, mais vie vraie, celle qui laisse une trace sur la joue quand d’un revers d’avant-bras on  balaye une larme.

Fado, Saudade, Rego, jamais l’art et la vie ne seront aussi UN.

Après l’exposition à l’Orangerie des Tuilerie les œuvres de Paula Rego sont visibles à la.Galerie Sophie Scheidecker, 14 Bis Rue des Minimes, 75003 Paris