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Pierre Perron – Les paysages vivants

Par Ghislaine Lejard

Pierre Perron est un ancien élève du lycée Clémenceau à Nantes où il s’est lié d’amitié avec le futur romancier, premier ministre et diplomate congolais Henri Lopès.

Il a enseigné plus de 30 ans au lycée Victor Hugo à Nantes. En 1955, alors qu’il est étudiant à Paris, il est attiré par l’œuvre de Yves Klein et celle de François Morellet, il  copie Cézanne et Paul Klee, il lit les écrits de Henri Matisse et Vie des formes de Henri Focillon.

Un atelier au bord de l’Erdre

Pierre Perron vit à La Chapelle-sur-Erdre près de Nantes, son atelier fait face à l’Erdre « Une rivière façonnée dans le temps par ses riverains. Un joyau à préserver. » (1)

Ce lieu ne cesse de l’inspirer, quel que soit le mode d’expression choisi : l’abstraction, la géométrie ou le figuratif… L’eau et la lumière en sont les dénominateurs.

Rencontrer l’artiste dans son atelier, c’est embrasser 70 ans de créations aux multiples facettes : peintures, affiches, monuments publics, peintures murales, livres d’artiste sans compter de nombreuses publications ; c’est l’entendre conter l’histoire de certaines affiches, c’est l’entendre parler avec passion de la découverte en 1963 d’un carton contenant 93 dessins provenant de la collection d’un amateur inconnu de la fin du XIXème. Des dessins qui lui sont précieux car dit-il : « Les artistes plasticiens ont toujours affectionné le dessin comme une expression originelle. Le recours à cette expression réapparaît dans toute sa portée au moment de grandes crises de la création parce que le dessin est direct, parlant et pratique, qu’il ne coûte pas cher et qui ne prend pas de place, qu’il est incontournable par l’économie de moyens qu’il contient en lui-même et par l’immense espace de liberté qui en résulte. »

L’atelier de Pierre Perron donne à voir des œuvres classées, rangées alors que d’autres s’exposent, posées sur des chevalets ou des étagères, des œuvres que l’artiste présente avec jubilation, tout en parlant de ses tableaux, il aime à échanger sur l’art : «…qu’est-ce que l’art ? je répondrai c’est la pratique du chanteur kabyle Lounès Matoub, une pratique qui lui coûte la vie alors que je suis à cent lieues de son art (…) le prix de l’exercice de l’art, c’est la vie. » (2)

L’atelier de Pierre Perron est un lieu de création, mais c’est aussi un lieu de vie, un lieu de liberté : « L’artiste dans son atelier exerce son travail en toute liberté, sans avoir à répondre à d’autre qu’à lui-même. » (3)

La couleur de l’Erdre, la couleur du ciel

Au bord de cette rivière, Pierre Perron fut et est un chercheur de couleurs, un chercheur de lumière : « Du jour où ma mère en 1951, m’a fait découvrir les impressionnistes au musée du jeu de Paume, je suis devenu un chercheur de couleurs. »

La matière de sa peinture est la lumière, peindre le paysage c’est peindre le temps. Comme William Turner a peint les couleurs et la lumière de la Loire, Pierre Perron saisit les variations de la lumière à différents moments du jour ; dans son œuvre Les États de l’Erdre (vingt vues d’un paysage familier), il a démultiplié le paysage en un kaléidoscope de couleurs et un espace-temps se déploie sous le regard, celui du peintre et celui du spectateur. Le paysage pour «  peindre le temps » comme il l’exprimait dans son journal de bord du 12 octobre 1992.

Pour William Turner comme pour Pierre Perron, chaque instant sur l’eau est différent, le paysage bouge, le paysage vit. Pour l’un et l’autre le désir de saisir la lumière et les couleurs qui se déploient sur le ciel et l’eau qui parfois se confondent pour traduire et le lieu et l’imaginaire de l’artiste.

Pour Pierre Perron, le paysage est conçu par les habitants du lieu comme « un acte de modification ou d’interprétation du monde physique. » En mars 2019, une rétrospective de ses œuvres s’intitulait : Vue imprenable. La question du paysage vivant.

L’artiste travaille sur le motif qu’il termine dans l’atelier, et toujours « sous le coup de l’émotion » peindre la beauté mystérieuse, inquiétante qui peut ou va disparaître…

Un peintre engagé

Les rives de l’Erdre sont fragiles, elles sont une œuvre d’art collective, fruit de 15 siècles du travail des hommes. Un paysage superbe que Julien Gracq a célébré, Pierre Perron le rappelle, lui qui en est l’un de ses jardiniers: « Je suis le témoin depuis mon enfance de la longue succession des métamorphoses de cet espace découvert. Aussi me suis-je engagé à définir, à révéler et à célébrer par la pratique de mon art, un paysage de notre époque, un paysage lacustre «merveilleusement  vain, divers et ondoyant» devant le miroir qu’il me tend. »

Il a été président de l’association culturelle L’Erdre, patrimoine national vivant. L’écologie et la préservation de l’environnement sont une des priorités de notre époque et le paysage fait partie de notre patrimoine culturel. « Le paysage de la vallée de l’Erdre est un ouvrage immense dont l’originalité est d’être l’œuvre de ses propres habitants. Il reste sous leur sauvegarde. Par sa singularité et parce qu’il se déroule dans le temps, ce paysage vivant est une création durable qui mérite notre engagement mais aussi notre respect, ce que souligne la reconnaissance par la loi de son classement au Grand Paysage d’exception. »

Pour célébrer cette vallée de l’Erdre, Pierre Perron a conçu avec Patrice Roturier une grande exposition à ciel ouvert : Les déjeuners de l’Erdre, ils ont invité 92 artistes qui ont travaillé avec l’assistance technologique de 32 entreprises. Depuis 1972, il crée des œuvres monumentales, sculptures ou peintures murales dans le cadre des commandes publiques. Sur les bords de l’Erdre, près de son lieu de vie et de son atelier se dressent trois colonnes de mosaïques, placées devant le club d’aviron nantais Léo Lagrange, réalisées en 1987. L’Erdre devient ce fleuve qui rejoint la mer par le canal de Nantes à Brest et par l’estuaire de la Loire, ce qui est évoqué par le signal codé des pavillons de navigation maritime qui se déploient sur ces colonnes.

Pierre Perron met son art au service de causes qui lui tiennent à cœur. Comme affichiste (4), parmi les 150 affiches réalisées pour le jazz, le cinéma, le théâtre, et de nombreuses causes comme la lutte contre le racisme. Retenons deux images emblématiques, son affiche Création interdite qu’il réalise en 1983 pour le théâtre de la Chamaille ; c’est l’expression de son indignation face à la mesure politique qui avait frappé cette troupe, cette affiche deviendra un symbole pour de nombreux nantais, elle sera déclinée en tracts, badges ou autocollants. Une autre sera créée en 1985 : Esclavage et mémoire nantaise, commandée par l’association Le Triangle d’ébène. L’image de cette affiche venue à l’esprit de l’artiste à l’occasion du tricentenaire du Code Noir donnera naissance sept ans plus tard au titre de l’exposition Les anneaux de la mémoire. Il n’hésite pas à interpeler les membres de l’association lorsqu’il travaille sur ce projet : «  Quant à la production d’une affiche pour les Anneaux de la Mémoire, la différence de nos conceptions m’apparaît très clairement, vous pensez en terme de communication, je pense en terme d’expression. Je n’ai pas cherché bien sûr, à ce que l’on vous reconnaisse dans cette image, j’ai voulu que l’on vous reconnaisse dans  l’acte d’éditer une telle image » ( lettre du 10 septembre 1992 ).

 

Un peintre et un chercheur inquiet, il ne s’installe pas dans le confort, si le plus souvent les œuvres de Pierre Perron sont en lien avec les lieux qui lui sont chers, les rives de l’Erdre, Noirmoutier, ou l’île d’Yeu, il ne cesse d’être un créateur de l’incertitude à la poursuite de ses idées qu’il met au service de son imaginaire. Il pourrait reprendre à son compte les vers du poète ligérien Joachim Du Bellay :                                «  …reconnaître l’idée

                                             De la beauté qu’en ce monde j’adore. »

 

Pierre Perron s’interroge sur la peinture, sur le rôle de la peinture dans la société. Il rejoint le musicien et le poète dans un même engagement de vie. Les œuvres de Pierre Perron peuvent se faire «  partition » ou « poème ». Après avoir travaillé sur des combinaisons d’images sur des panneaux en triptyques ou polyptyques, l’artiste a décomposé puis reconstruit l’image ; les formes et les couleurs s’enchaînent et évoquent le rythme comme dans la série Partitions plastiques. Le peintre invitera des musiciens à interpréter ses partitions visuelles.

Pierre Perron se sent proche du poète René Guy Cadou, comme les écrits de ce poète, ses œuvres sont un rempart contre la nuit. En hommage au poète, il a réalisé deux panneaux pour l’école communale de Louisfert où a enseigné le poète. Ces panneaux intégraient des mots empruntés au poète : « émerveillé par les choses qui se cachent derrière les subterfuges de la simplicité. » (5)  Peindre ou écrire pour que la vie se vive dans «  le plus grand espace de liberté ».

«  La peinture est une poésie qui se voit », elle est « inépuisable » et «  durera aussi longtemps que durera l’humanité ».

Au cœur de la création, il y a l’émotion et Pierre Perron sait « utiliser » ses émotions, tout au long de sa recherche, l’émotion est le cœur battant de ses créations, le cœur battant de toute son  œuvre.

 

1-En 1974 au cours de l’émission de Télé Pays de Loire, le journal de Patrick Visonneau présente l’atelier de Pierre Perron

2- Entretien sur la singularité de la peinture : Eric Fonteneau – Pierre Perron juin 1998

3- Extrait de la conférence du 25 avril 1998 à Capellia

4- L’œuvre graphique de Pierre Perron est reproduite dans l’ouvrage La couleur affichée paru en 2002 éditions Joca Seria

5- Les subterfuges de la simplicité 1987 ensemble de deux panneaux peintures cellulosiques sous plexi (120×100) pour l’école communale de Louisfert ( 2 phrases extraites de Mon enfance à tout le monde R G Cadou sont placées en épigraphe sous les deux tableaux )