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Sade vertigineux et inutile

Par Henri-Hugues Lejeune

Musée d’Orsay- 62 rue de Lille (VIIème) jusqu’au 18 janvier 2015
Le Musée d’Orsay, sous la décisive impulsion de Guy Cogeval, ébranle depuis quelques années la perception et la prospective de l’idée même de musée.
Un musée, héritier d’une collection royale, nationale ou autre, élargissant jusqu’ici le thème intime du cabinet particulier, exposait à titre temporaire dans un but comparatif ou didactique l’oeuvre d’un artiste, d’une école, d’une période, une discipline etc.

Ces thèmes sont indéfiniment et délicieusement extensibles et passionneront toujours conservateurs et publics.
La quête actuelle du Musée d’Orsay est toute autre, il est dorénavant ici question de la condition humaine, tout simplement, dans ses projections les plus diverses, voire les plus secrètes.
Le branle en a sans doute été donné avec (Crime) et Châtiment auxquels succédèrent Le Romantisme Noir, le Cauchemar, la vision du Nu masculin et aujourd’hui la déflagration artistique provoquée par le marquis de Sade et son oeuvre corrosive depuis donc la clôture du XVlII ème siècle avec pour détonateur la Révolution française appelée de ses voeux et célébrée par un des plus furieux esprits de son époque.
Elle nous révèle un phénomène d’une ampleur telle qu’il importe de s’arrêter sur l’énigme posée par le « Divin Marquis ».
Or il écrit comme Robespierre et il est matériellement à peu près illisible à qui n’est pas fondamentalement soucieux des anathèmes que son écriture transporte et des cortèges d’images et de scènes qu’elle accumule.
Pourtant c’est à lui qu’il aura été donné de clore matériellement le merveilleux siècle dit des lumières au moment précis où il basculait dans la Révolution.
Certes l’édifice rationnel de l’émancipation tous azimuts de l’individu transportait en son sein cet impitoyable lancinement de l’esprit, ce rabâchage de la raison comme les pratiquent souvent Restif, voire Bernardin de Saint Pierre et comme parfois peuvent le faire Diderot ou Rousseau quand ils vont prêcher sur ces terres nouvelles.
Mais l’on peut tout de même se prendre à songer à l’éclat de l’oeuvre de ce diamant noir s’il avait tenu la plume de Voltaire ou disposé de quelque inspiration romanesque ou théâtrale autre que dialectique et qui n’aurait sans doute dès lors pas été si facilement et longuement tenue sous le boisseau.
La richesse, la prodigieuse imagination des thèmes puisés dans l’oeuvre proliférant de Sade ont éveillé et sous-tendu de proche en proche l’ensemble ou à peu près de la production artistique mondiale depuis lors.
Il revenait aux commissaires de l’exposition à se déchaîner dans la recherche sauvage, imaginative et bouillonnante, dans l’ensemble du paysage artistique des XIXème et XXème siècle, sans exclure bien entendu leurs courants les plus iconoclastes et eux surtout mais aussi les plus ostensiblement austères, qu’à regarder s’animer l’ensemble des mythes sous les inquiétants auspices de la subversion puis d’en illustrer les rubriques et les classements proposée par l’imagination éperdue du « Prince du Mal » et de « L’Ennemi du Soleil ».
Ce qu’ils ont fait avec un talent, une pénétration et une intuition très sûres proposant ainsi une méditation féconde à chaque détour proposé par les cartouches provocateurs des citations de Sade, en suivant le surréel itinéraire à travers l’homme que ce visionnaire avait tracé et qu’ils et elles ont intelligemment déchiffré dans l’esprit qui reste le sien.