Lettres

L’art d’écrire pour les enfants est un don exceptionnel…

Par Krystyna Bourneuf

„Les enfants ne font pas semblant d’écouter, ils baillent quand il s’ennuient”, rit en réponse Magdalena Kiełbowicz. „Pour reproduire l’imaginaire et le merveilleux qui sont leur quotidien, il faut savoir garder un peu de son âme d’enfant”, ajoute-t-elle modestement. Les enfants sont très sensibles. Là où nous, les grandes personnes, profitons de nos acquis, des expériences et de l’éducation, eux font appel aux sentiments.

Son premier roman Huczy jak w ulu / La Ruche d’Urszula (titre français provisoire) connaît un grand succès en Pologne.
Magdalena Kiełbowicz nous conte l’histoire du quotidien d’une petite fille de huit ans, qui vit au sein d’une famille intergénérationnelle, où chacun a droit à la parole, à son espace, ses souvenirs et ses rêves, du grand-père de quatre-vingt-dix-huit ans jusqu’au petit dernier de douze mois, où chacun est entouré d’attentions et de bienveillance, où chacun les dispense aussi.

„Je pense”, dit l’auteure, „que l’estime de soi, la conscience de notre identité et du droit à la place que nous allons prendre commence dès le proverbial berceau”.
Oui, il y a cet objectif dans le roman de Magdalena Kiełbowicz, il est simple et touchant.

Urszula vit dans une maison à plusieurs étages et avec une rampe d’escalier très attirante et… dangereuse. La cuisine sent bon la cannelle, les clous de girofle et le cacao. Les odeurs et le goût font partie intégrante du roman. Comment résister à l’appel des gaufres ou d’une bonne boisson de fruits ( kompot ) au dessert ? À ces éléments sensuels de la gourmandise, intergénérationnels eux aussi, mais chut, je ne peux pas vous dévoiler les cachettes des friandises des grands-parents d’Urszula. Ni l’existence de bien d’autres trésors qui surgissent au fil des pages !
L’auteure met l’accent sur la curiosité de son héroïne, son impétuosité pour découvrir le monde, elle se spécialise déjà dans l’observation des lions et plus tard elle sera directrice d’un zoo. Mais son univers n’est pas un cocon, Urszula est confrontée aux réalités : l’arrivée de son petit frère (qu’elle surnomme Tropchou), puis de sa demi-sœur, des soucis de santé des uns et des autres, et bien plus grave – il lui faut faire face à un voyou à l’école, elle vit aussi des heures d’angoisse, lorsque son papa marin est enlevé par des pirates somaliens, et dans la cour de l’immeuble rode Józefina, une effrayante sans-abri…
Voici comment Urszula décrit son petit frère :
« Tropchou a le don de disparaître ! Lorsqu’il mange un gâteau, il est un gâteau. Quand il y a des pâtes au déjeuner, c’est difficile de savoir où finit le spaghetti et où commence le goulu. Il boit de l’eau et il devient eau (ou il devient carotte, s’il boit du jus de carotte) /…/ Quoi qu’il fasse, il le fait de tout son être et ça l’accapare tellement qu’il se dissout dans l’action ».
Le lecteur oscille entre le réel et l’imaginaire, dans l’univers tel que le perçoivent les enfants du monde entier. Surgit alors, par exemple, un message dans une bouteille que je vous laisse découvrir, en attaché.
Un atout important du roman : Magdalena Kiełbowicz a le souci du langage : elle a veillé à celui de la petite Urszula, qu’elle a rendu facile, direct, mais irréprochable. Plus encore, l’auteure joue avec les mots, elle feint l’innocence en les mettant dans la bouche de son héroïne, mais elle exploite les proverbes et dictons pour remettre souvent en cause les non- sens des expressions figées.
Ainsi, les succès de la fille du cordonnier, une grande actrice, provoquent les réactions du voisinage qu’Urszula prend à la lettre :
« J’ai commandé une paire de chaussures chez monsieur Antoni. Il était un peu étonné, alors je lui ai expliqué que je voulais les mêmes que celles de sa fille, qui est allée si loin »
Un autre exemple :
« – Voilà pourquoi l’ennui est bénéfique, ma petite Urszula. C’est grâce à l’ennui que tu commences à chercher les aventures.
– Sauf si je meurs avant… je soupire et grand-mère me regarde, interloquée. Pourtant, c’est bien ce qu’on dit : mourir d’ennui , non ? »

De sa belle histoire, Magdalena Kiełbowicz en a lu d’abord des fragments, à ses trois enfants. Un grand souci du futur public ! Un roman chaleureux, plein d’action, d’humour et de joie. À lire entre petits et grands, au coin du feu ou à la terrasse du jardin.

Magdalena Kiełbowicz a 41 ans. Elle vit en Pologne, dans la ville de Poznań. Diplômée en Philologie romane, Lettres modernes de l’Université Adam Mickiewicz de Poznań. Spécialisée dans la psycho-linguistique, ses recherches (doctorat) concernent le langage des personnages d’enfants dans la littérature.
Elle a publié plusieurs nouvelles pour les enfants dans la revue Świerczczyk et d’autres pour adultes dans Przekrój.
Elle aime les voyages, surtout les voyages littéraires. C’est pourquoi, quand elle découvre un nouvel endroit, elle cherche à y visiter une bibliothèque.

Magdalena Kiełbowicz. Huczy jak w ulu. Éditions Znak, Kraków, 2019.

Le roman La Ruche d’Urszula n’est pas encore traduit en français. Disponible en polonais :

https://www.znak.com.pl/ksiazka/huczy-jak-w-ulu-magdalena-kielbowicz-135395