Soliloque d’un Poisson rouge
Par Bérine Pharaon
Le voyage du Poisson rouge de l’autrice Sabine Hogrel, illustré par l’artiste collagiste Mylène Vignon, s’inscrit dans une tradition bien française.
L’ouvrage s’ouvre, en couverture, sur une première œuvre en forme de carte postale onirique : un poisson bleu et or s’y baigne, entouré de volutes blanches, de vagues fleuries et de coquillages dorés. D’emblée, le ton est donné.
Au cœur des cinq compositions oniriques de Mylène Vignon – étoiles de mer, fraises voluptueuses, sirène, diable et poissons-amis – Sabine Hogrel, par son écriture vivace, nous rappelle que la vie advient toujours autrement que ce que nous aimerions. Est-ce vraiment une surprise d’espérer malgré tout ?
L’œuvre, un leporello en tirage limité à cinquante exemplaires numérotés, porte en son format une symbolique forte et déploie son récit avec un rythme de traversée. Un timbre chardonneret, présage de départ, entraîne le lecteur dans cette fable sous-marine dont la morale, sur l’inéluctabilité de la vie, s’énonce dès les premières lignes :
« On a beau lutter, quand elle vous a choisi, rien ne l’arrête. On se retrouve pris au piège. »
Le héros, Poisson rouge candide et fragile, s’élance dans une quête de vie et de spiritualité, parcourant avec toute son énergie ses derniers instants. Mylène Vignon y ajoute poésie, évasion et mystère, tandis que l’autrice souligne avec brio, par un dialogue philosophique moderne qui s’ignore, que la rencontre avec une écrevisse — présage de fin — devient une aventure métaphysique universelle.
Cette fable invite chacun à réfléchir au mystère, à l’arrachement et au temps qui passe, pour en dégager sa propre interprétation. Le lecteur-regardeur, témoin des exclamations du héros, partage ses réflexions et ses vertiges, sans jamais pouvoir le sauver de l’inéluctable.
Allégorie condensée de nos vies humaines, ce court chemin interroge : ne vivons-nous pas, nous aussi, dans un brouhaha d’échos, tout en traçant un parcours solitaire ?
À l’heure de l’épreuve, le poisson rouge est seul — comme nous le sommes face à l’évidence de notre finitude. Pourtant, l’espérance affleure : avons-nous eu la légèreté de croire à une éternité heureuse, à l’amitié qui sauve ?
L’univers de ce conte moderne et philosophique, traversé d’humour, de symboles, d’éclats d’étoiles et de couleurs poétiques, répond à l’absurdité de la finitude par la grâce d’une poésie visuelle et narrative.
Une ode à :
« Carpe diem, quam minimum credula postero »
« Cueille le jour présent, en te fiant le moins possible au lendemain. »
Car, dans son Discours à M. le Duc de La Rochefoucauld, Les Lapins, Livre X, fable 14, Jean de La Fontaine ne révélait-il pas déjà :
« Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L’homme agit, et qu’il se comporte blan
En mille occasions comme les animaux » (…)
Le Poisson rouge s ‘impose comme un bijou.
