Regards

Mobilisons-nous contre la disparition de l’appartement de Prévert !

Par Gilles Trichard

Les feuilles mortes se ramassent à la pelle…

… vous voyez, nous ne voulons pas oublier

Je vois rouge …au-dessus du Moulin.

Je n’ai rien contre le Moulin Rouge, « le premier palais des femmes », Nini patte en L’air, La Goulue, ses danseuses lumineuses aux belles gambettes qui, depuis des décennies, font se pâmer les touristes, ses spectacles époustouflants, ses plumes.

Plume, c’est justement le sujet. Trempée dans l’encre rebelle et poétique, la plume libre de Jacques Prévert est éternelle. Elle fait partie de notre patrimoine culturel. On se sent Prévert en France, comme on peut se sentir Pagnol, Colette ou Rimbaud. Il nous aide à mieux saisir la réalité sociale. Il raconte une France populaire, du quotidien, de l’injustice ; ses mots expriment la poésie de la vie ordinaire.

Il se trouve que le poète a trouvé une grande partie de son inspiration (texte, scénarios, dessins…) dans un appartement situé juste au-dessus du Moulin Rouge, cité Véron.

C’est « l’appartement de Prévert » que l’on peut visiter sur rendez-vous.

Et voilà qu’on veut le supprimer.

C’est la mémoire qu’on veut assassiner !

En 1955, avec sa femme Janine et sa fille Michèle, dite Minette, Jacques Prévert emménage au 6 bis cité Véron, une petite impasse pavée en bordure du boulevard de Clichy. Jacques Prévert fait entièrement rénover l’intérieur de cet appartement, propriété du Moulin Rouge. Sur le conseil d’Alexandre Trauner, décorateur de cinéma et ami, il en fait un espace épuré, aux angles courbes, aux murs blancs et au sol rouge de tomettes provençales. L’appartement ouvre sur une terrasse qui donne sur l’arrière du Moulin Rouge. Il a pour voisin Boris Vian. Il y reste jusqu’en 1975, date à laquelle il s’installe à Omonville-la-Petite, dans le Cotentin, jusqu’à sa mort en 1977. Le bail de la cité Véron est resté dans la famille Prévert. C’est depuis cet appartement mythique qu’Eugénie, sa petite-fille, abrite depuis longtemps la succession Fatras qui gère, protège et entretient la mémoire de l’auteur.

Le sang d’Eugénie n’a fait qu’un tour quand une lettre lui est parvenue.

Dans le cadre du « plan cabaret » la direction du Moulin Rouge a décidé de résilier le bail de l’appartement-musée mitoyen. Le cabaret veut rendre sa place à la célèbre Mistinguett en retrouvant les volumes historiques de l’ancienne salle des années 1920-1930, où elle se produisait. Le Moulin Rouge prétexte la reconstruction à l’identique du cabaret Mistinguett (qui n’existe plus depuis 1929).

Ce projet implique de récupérer les appartements qui sont excentrés par rapport à cette salle. La succession Vian a reçu une lettre d’huissier demandant de quitter le lieu a la même date.

Le couperet est tombé. Légal mais consternant.

L’appartement de Jacques Prévert ne doit pas finir aux oubliettes de l’histoire !

Comment ne pas réagir ? C’est une mémoire qu’on veut assassiner. Le « rêveur d’images » y a reçu Jean Gabin, Picasso, Alexander Calder, Marcel Carné, Yves Montand, Simone Signoret, son voisin Boris Vian, Robert Doisneau qui l’a immortalisé à sa table de travail. Serge Gainsbourg lui rendit visite en 1962 lorsqu’il écrit « La chanson de Prévert ».

Pour y être allé plusieurs fois, c’est un appartement qui vibre et sublime les émotions. Il y flotte l’âme du poète. Cet appartement est habité non par les esprits -on imagine le poète critique s’en moquer -mais par les forces de l’esprit fécondes en imagination. Quand on en sort, on se sent plus sensible à la sensibilité, on a le cœur à marée haute. Comment imaginer qu’un tel lieu puisse disparaitre ?

L’État, les autorités, tous les pouvoirs, les citoyens ne peuvent rester insensibles, indifférents, fatalistes. Effacer une mémoire est un crime. L’absurde du monde dont parlait l’homme de Lettres ne doit pas connaître un nouvel épisode.

Cet appartement doit être classé !

En cette période de feuilles mortes qui se ramassent à la pelle, cet appel d’automne doit résonner comme un cri. Ne faites pas ça !

Une pétition se met en place. Ne pas hésiter.

Pour paraphraser une des célèbres citations de Prévert sur le temps : la mémoire « mène la vie dure à ceux qui veulent la tuer ».

Gilles Trichard

Journaliste Auteur