Regards

André Derain

1904 – 1914 la décennie radicale

J’ai toujours eu pour André Derain l’admiration la plus vive.

Il est un très grand artiste qui a beaucoup travaillé aux quatre coins de la modernité, prophète de la sensibilité contemporaine. Son œuvre est gigantesque mais il est remarquable qu’elle se retrouve, incontournable, dans la totalité des expositions thématiques ou chronologiques sur les grands courants du XXe siècle en ses plus belles aurores. Il a trempé dans toutes.

Il assimile immédiatement les concepts les plus nouveaux et cherche par lui-même et avec ses amis et compères, car, aux débuts du moins de sa carrière, qui est ici le sujet, il est éminemment sociable et chaleureux.

Quand un thème se révèle, l’intéresse, il va y voir, il le prend à bras le corps et à l’aise partout, multiplie les recherches ; on ne peut dire qu’il cherche, il trouve, pourrait-il dire à l’instar de Picasso.

La littérature l’inspire explicitement, en tant que telle. Il la comprend, s’en imprègne, comme de la poésie et plus tard du Théâtre et il en sera ainsi sa vie durant. Dans l’Age d’Or il cherche une Arcadie symbolique et intemporelle, la Danse à travers et au-delà des expressions mythologiques de l’Art Hindou ou de l’Extrême-Orient et ainsi de suite, là où son instinct, son génie et sa soif de connaître et surtout d’embrasser, le pousse. Sa sensualité artistique est totale, multiforme.

Je pourrais mener en tous sens cette « magique étude », m’étendre sur ce bonheur de la voir exister qui s’exhale en tout ce qu’il entreprend alors. Et avec quelle précocité !

Mais, au cœur de tout cela, une question se pose, lancinante.

D’où procède l’indéniable solitude dans laquelle nous le confinons ?

De lui-même certes, elle l’a peu à peu envahie parmi les détours d’une vie riche, chamarrée, tragique aussi. Mais encore ?

Ne sommes-nous pas nous-mêmes en question, aficionados de l’art et de sa modernité ?

Gorgés d’images par notre civilisation, nous ne demandons plus à l’artiste de nous enchanter, de combler notre regard, mais encore quoi ? De nous surprendre, de nous épater, de nous provoquer, au mieux de nous faire réfléchir et de forcer ainsi notre admiration.

Le grand peintre de jadis peignait à travers toute sa peinture, au moyen de son talent, de sa science et de sa vision. Il peignait avec le crayon de son esquisse, son sens de la construction, son exact appétit de la couleur ou des ombres, son goût, son désir.

Savons-nous encore aller au-devant de lui, de sa vision ?

La question se pose ; si, comme je le crains, la réponse est en partie au moins négative, nous sommes toujours un peu complices de nos propres réticences, l’artiste est la victime de cette relative indifférence, du «blasé» de notre attitude et de notre condition de modernes, de contemporains.

Je crois que c’est hélas tant pis pour nous.

Bonnard par exemple, souffre aussi de l’inaccessibilité de cette plénitude de l’exercice du talent, de ce lustre particulier du désir demeuré désir de l’être que le grand artiste affiche.

Derain, nous le voyons sur ces cimaises, accède très jeune à cette réalisation totale de sa peinture et il peignait ce qu’il voulait ; presque dès ses débuts, ses toiles sont parfaites en ce qu’elles veulent être.

Un dernier mot; il n’a peut-être pas été le tout premier, nul ne le saura jamais, à démêler là aussi l’intérêt fondamental et l’importance des « Arts Premiers » lors de son séjour à Londres en 1906 et devant la contemplation des collections du British Museum. Il en fit part aussitôt à ses amis car il était aussi généreux qu’enthousiaste et cette «mode» se répandit comme une traînée de poudre dans tout Landernau, comprenant que l’un des aspects fondamentaux de l’univers d’aujourd’hui venait de prendre son essor !

Centre Georges Pompidou
Jusqu’au 29 janvier 2018

Henri-Hugues Lejeune