Regards

Dorothéa Tanning et Barbara d’Antuono

Par Théodore Blaise

Ainsi va le fil, suivant l’aiguille, suivant la main, autant accroché au regard que puisant dans le temps, ses récits, ses attentes. Il faudra se rappeler que c’est au Bauhaus, qu’Anni Albers a su porter dans le champ de l’art celui du fil, et que son ouvrage On weaving  en destitue la notion d’ouvrage de dame. Fortement influencée par l’ingéniosité des quilts américains et l’art du patchwork des femmes de la campagne, éblouie par l’usage des laines et des fibres qu’en faisaient les  latinos, elle défendra au sein du Black Montain College, la noblesse de ses pratiques. 

Dorothéa Tanning, dernière épouse de Max Ernst, et quelquefois Louise Bourgois,  n’hésiteront pas à préférer dans leurs sculptures, l’art de l’aiguille à celle du burin et permettre que celui-ci soit désormais regardé sans restriction, et ne plus être considéré comme un attribut féminin. Rappelons-nous le merveilleux Jacques Trovic, qui dès le début des années soixante réalisant de très grandes œuvres textiles — à mi-chemin entre le patchwork et la broderie —,  tenait son journal et racontait la vie du pays minier… Et que dire de l’excentrique Grayson Perry en Angleterre, figure magistrale de la nouvelle scène artistique, qui se refuse d’imaginer cela comme un art mineur ? 

 Bien sûr, dans les pionnières en France,  il faut évoquer la formidable Marie-Rose Lortet qui depuis cinquante ans écrit des histoires à mille personnages, et en ne tirant qu’un fil, construit des maisons où pourraient se loger les chiffonnettes de Josette Rispal.

Noblesse du fil donc.

Barbara d’Antuono nous délivre des récits : ceux de ces errances dans ces pays où règnent encore la force des mythes, la puissance du mystère pour celui qui sait écouter les chants du monde : le bruit du vent, les eaux stagnantes, les appels de la vie. Et c’est tout cela qu’elle invite sur la spirale où ses rêves éveillés se mêlent allègrement. 

Vivement colorée, sa touche est faite de bout de tissus, que parfois elle rembourre pour que le relief se joue de la lumière et invente des tons. Les lignes sont des points de couture, ou des fils qui s’envolent, n’est-ce pas ce qu’il faut pour qu’une baleine prenne la voie de ciel et y rencontre, quoi ? La Vierge peut-être… elle converse avec un Baron Samedi… Un serpent que poursuivent des  cavaleras  sur les pentes d’un volcan ou bronze une sirène. 

« Ainsi soit-elle ? » a-t-elle écrit quelque part. Ainsi elle est. Femme multiple d’être une. 

Si cela tient au monde des rêves, il faut aussi voir dans les travaux qui évoque Haïti où elle a longtemps séjourné, un témoignage des espoirs et des peines,  comme si l’homme ne tirant qu’un même fil ne racontait jamais — ici et au plus loin là-bas — la seule et même chose qui prend cependant la forme de nos destins différenciés.

Galerie Claire Corcia, 323 rue Saint — Martin 75003 Paris. Du lundi au samedi

Les éditions de L’œil de la femme à barbe, ont publié à cette occasion un très beau livre.

Esprits vagabonds,
  Auteur:Barbara d Antuono,Kevin Pierre
janvier 2021
ISBN:
979-10-96401-15-4
Autres contributeurs:
Préface de Daniel Conrod – Texte de The Talk of creatures
Editeur:
L’oeil de la femme à barbe Editions
Collection:
29.7 x 21 à l’italienne
couverture cartonnée
104 pages
70 photos couleur

Edition bilingue français/créole haïtien
Exposition de sortie du 14 janvier au 27 février 2021, en partenariat avec la galerie Claire Corcia, Paris 3ème.