Regards

En mémoire de Zwy Milshtein

Pépite recueillie par Mylène Vignon

Ma naissance

« Au début, je nageais dans un liquide, une sorte de tohu-bohu qui était rassurant. Je ne savais pas à l’époque combien était fragile ma protection. Je nageais dans un bien-être total, en haut, quelque part, j’entendais un battement sourd et parfaitement rythmé. Je voyais des bruits assourdis et j’entendais des couleurs très vives. C’était très étrange, et si différent de ce que je perçois aujourd’hui. Le temps s’écoulait paisiblement, de manière abstraite car je ne savais pas compter.
Mais voilà qu’un jour tout fut chamboulé. Ce fut comme si on m’avait lancé dans une marmite d’eau bouillante. Ça a commencé avec une sorte de douleur, comme si on m’ arrachait le pied. La douleur s’est propagée dans mes bras et mes mains. Quand elle s’est arrêtée, j’ai ressenti une sorte d’étouffement. Une lumière violente m’a aveuglé. Mon corps brûlait. Je ne le souviens pas si c’était provoqué par le chaud ou par le froid. Il me semble que la première sensation que j’ai ressentie a été un froid intense suivi d’une chaleur brûlante. Je me suis mis à hurler.
Ce fut mon premier apprentissage de la langue humaine. Je n’avais jamais ouvert la bouche auparavant, car j’aurais pu me noyer. Et puis, je n’avais rien à dire, et encore moins à hurler. J’arrivais à m’exprimer un petit peu avec les sanglots. La faim, la peur et la haine ont été des sensations nouvelles pour moi, et j’ai dû chercher une protection. Ça m’a pris des mois avant de prononcer le mot « maman », un mot magique qui ouvrait toutes les portes. « Devic » c’était mon frère aîné, il avait déjà subi tous les supplices avant moi, il était là pour me rassurer. Le troisième mot que j’ai appris était « Mademoiselle », qui désignait notre nounou helvétique. »

Texte extrait du livre À vos papiers 1934