Regards

Il reste encore demain de Paola Cortellesi

Par Chantal Laroche Poupard, SIGNIS France

Le premier long-métrage de Paola Cortellesi Il reste encore demain est une histoire poignante d’une prise de conscience sociale et politique sublimée par l’amour d’une mère pour sa fille et réciproquement.

A l’aube de la naissance d’une république, les Italiens et les italiennes -les femmes ont le droit de vote depuis 1945- sont appelés à se prononcer par référendum après la dictature fasciste.

 

La séquence d’ouverture, en format 4/3, celui que les projections historiques utilisent dès le début du XXème siècle, ce qui fera dire à la réalisatrice :   » ….j’ai tourné en 4/3 la scène d’ouverture qui apparaît juste avant le générique car j’aimais l’idée de recréer pendant les toutes premières minutes l’ambiance de ces films pour ensuite agrandir le cadre et ouvrir le sujet de mon film.

 

Dans la veine du néo-réalisme, Paola Cortellesi renoue avec le cinéma populaire filmant la vie quotidienne de l’Italie d’après-guerre : ainsi cette séquence d’ouverture montre l’homme qui se réveille et se regarde dans un miroir… la femme se réveille alors, s’habille sans oublier son tablier ; elle met le couvert, s’affaire aux tâches ménagères tandis que l’homme la menace et lui claque une gifle magistrale.

En quelques images, l’ambiance est dessinée, le tempo est donné :  l’homme, Ivano, est autoritaire, brutal, violent. Il est même imprévisible.  Sa femme Délia, battue, résignée et travailleuse met de côté de l’argent provenant de ses petits emplois. Le grand-père alité vit chez eux et se remémore ses exploits de pilleur de tombe lorsqu’avec son fils, il faisait du recel avec les fascistes.

Les deux jeunes garçons se chamaillent et jurent sans arrêt. Toute la famille s’apprête avec fierté à célébrer les fiançailles de l’aînée, Marcella avec un jeune homme d’une famille plus aisée du quartier.

 

Mais Delia prend conscience qu’elle ne souhaite pas que sa fille ait la même vie qu’elle, battue et non instruite ; elle veut qu’elle fasse des études, qu’elle ait un meilleur avenir : -les défenseuses des droits des femmes en Italie avaient surtout insisté sur « l’importance du droit à l’éducation et de l’amélioration des conditions sociales des femmes ».

Delia se confie à Marisa, son amie et confidente. Nino, son ami d’enfance a toujours été amoureux d’elle et lui propose de s’enfuir avec lui.  Tandis qu’ils se retrouvent dans une superbe séquence chorégraphique, la caméra les enveloppe dans une volute de bonheur.

Le scénario promène alors le spectateur de droite à gauche en laissant planer le doute quant à la libération et l’émancipation de la protagoniste : autant de pistes pour ce scénario, qui tient le spectateur en haleine ; mais le hasard sera bien plus prometteur, bien plus sagace et les événements ne se passeront pas comme Delia les avait prévus : mais elle est confiante sachant qu’« Il reste encore demain ».  Confiante car elle a reçu une lettre importante qu’elle a cachée et dont le contenu ne sera révélé qu’à la fin du film.

 

L’espoir de ce meilleur avenir est traduit par une bande-son variée, des mélodies populaires et joyeuses qui chante le printemps tandis que la comédie musicale s’invite, clin d’œil au film de Michel Hazanavicius The Artist et ce lorsque Ivano invite Délia à danser : mais la chorégraphie suggère ici un triste tango dans une séquence hachée de la violence de ce mari imprévisible.

 

Le cadre naturel est magnifié, dans le quartier du Testaccio de Rome, encore populaire dans l’après-guerre, non loin des rives en friche du Tibre.

L’image en noir et blanc sublime les places ombragées de pins ainsi que les visages balayés par l’ombre et la lumière.

Et tout au long du générique une séquence de ralenti suit les pas de la belle Délia, qui déambule dans sa vie quotidienne. Paola Cortellesi, dans le rôle de Délia est une excellente comédienne, mais aussi humoriste et présentatrice de télévision ; elle apporte à ce drame social non seulement une touche de comédie et d’humour, mais également une immense émotion :  depuis sa sortie en Italie, le 26 octobre 2023, le film à 5,3 millions d’entrées a suscité de vifs débats autour du patriarcat, surtout après le féminicide en 2023 de Giulia Cecchettin, étudiante de l’Université de Padoue. Le drame de la violence conjugale existe toujours et est rappelé tous les 8 mars lors de La Journée internationale des droits des femmes.

 

 

Production, Italie, 2023, 1 h58. Avec Paola CortellesiValerio MastandreaRomana Maggiora Vergano