Hanna Arendt
Par Pascal Aubier
Je suis allé voir Hanna Arendt très naturellement. J’avais lu un peu largement son livre La condition de l’homme moderne et me souvenais très bien, et du procès Eichmann et de sa fine analyse du fascisme ordinaire proche de ce qu’avait montré Mikhail Romm dans son film éponyme. Je suis toujours énervé lorsque j’entends parler de ce « fou d’Adolf Hitler qui aurait entraîné ce pauvre peuple Allemand dans la tourment du nazisme ». On évite trop souvent de considérer la responsabilité individuelle et la responsabilité collective dans l’histoire en général et plus particulièrement dans notre histoire récente.
Hitler n’était pas fou et le peuple Allemand était riche de sa culture. Je me souviens d’avoir visité le camp d’Auschwitz en compagnie d’un ami Allemand. Celui-ci était apparemment encore plus consterné que moi et il m’a fait réaliser une chose à côté de laquelle je serais peut-être passé s’il ne m’avait entraîné dans une grande salle qui contenait les archives allemandes du camp : des courriers très ordinaires, en cinq exemplaires, commandant du gaz Zircon en passe de manquer, par exemple. « Tu vois ça ? C’est exactement l’Allemagne, celle d’hier et d’aujourd’hui, le souci du sérieux, du travail bien fait ». Ce sont des hommes et des femmes ordinaires qui ont exterminé, torturé, humilié les millions de Juifs, gitans, résistants et patriotes de toute sorte. Pas des monstres. La monstruosité est en nous. Il fallait le dire et Hanna Arendt le fit très précisément en incluant y compris la responsabilité d’organisations juives qui avaient à l’époque, peu ou prou collaboré avec les Nazis. Scandale terrible. On peut comprendre, mais il faut voir la réalité en face.
C’est probablement ce que Margaret von Trotta a voulu faire avec, d’ailleurs, la remarquable Barbara Sukowa. Mais d’une façon un peu rigide, jugulaire on va dire et qui noie pas mal le poisson. Ce qui reste de plus fort dans le film, ce sont les archives filmées du procès Eichmann. Le choc entre le vrai et le raconté ? Non, le vrai est partout autour de nous et il est parfois difficile à percevoir. Et dès qu’on le raconte, il s’agit déjà d’autre chose. Même les images d’Eichmann filmées et montées – et remontées par von Trotta en l’occurrence – racontent ce qu’on veut qu’elles racontent. Et si ce qui se passe « autour », dans le reste du film, n’est pas aussi frappant, c’est que cet « autour » n’est pas à la hauteur de ce qui nous est montré du procès. Je ne vais pas dresse ici une liste de films qui n’ont pas manqué ce rendez-vous. C’est juste dommage. Il aurait peut-être valu mieux enfoncer le clou. Montrer le possible horrible en chacun de nous. Et ce n’est pas une question de budget. Je n’ai pas de leçons à donner et je m’en veux d’avoir l’air de dire qu’on aurait pu faire mieux. Mais j’étais un peu triste en sortant du film. Comme un rendez-vous manqué.