Regards

Les coups de cœur d’Esther Ségal

Aranthell ou le Conscient Collectif

Découper du bruit ambiant… Voici l’une des paroles énigmatiques qui résonne dans mon esprit depuis mon premier entretien avec la peintre et plasticienne Aranthell. Découper quoi ? la figure, le sujet, le monde, la vie ? L’Art serait-il une minute de silence, un instant de « reflex-ion » ? C’est ce que l’œil d’Aranthell semble chercher… À travers la foule des supermarchés, de l’intimité d’une maison, dans le cri animal sous la Cellophane, l’insecte écrasé sur une vitre, le tumulte aveugle de la société de consommation bien organisé dans l’espace confiné d’un frigo blanc, la violence acceptée dans le cadre/cercle virtuel/vertueux du jeu vidéo. Tous ces lieux dits, ces lieux communs, si « homme nie présent », la fameuse « poutre dans l’œil ! » que l’on ne les voit plus par déni ou réflexe de survie. Que choisir ? s’écrierait l’émission de nous les consommateurs…

C’est à cet aveuglement qu’Aranthell s’attaque, dans la « Sisyphe
– répétition » d’un acte artistique chirurgical qui va du geste mécanique photographique au geste de la main du peintre mais avec un même point commun… découper… multiplier les signes du quotidien, les signes de notre civilisation, nous mettre nez à nez avec nos tocs modernes. J’insiste sur ces termes quelque peu médicaux, car il y a chez cette artiste un regard profondément clinique, qui se veut « neutre » selon ses propres mots. Elle passe au crible nos instincts de vie les plus élémentaires : manger, jouer, tuer et nos instants de civilisation : ranger, laver, se nourrir avec des ustensiles. Mais attention, ces instincts/instants sont un crible passé sous le silence du film d’alimentation, bien lisse, transparent, comme notre société d’aujourd’hui où l’on tente de conditionner ce qui pourrait déborder. L’animalité y est labélisée, l’aliment y est embaumé avec de séduisants emballages qui décorent le frigo.

L’instinct de conservation a trouvé un nouvel objet de projection, l’emballage.

Vous l’aurez compris, Aranthell nous conditionne à regarder notre condition humaine sous plastique. Ces sujets souvent frontaux nous regardent et exercent sur nous une pression visuelle. L’artiste ne nous laisse pas le choix. La preuve est là, face à nous, dans la monstration d’une société qui vit ses pulsions dans des jardins pour adultes. Le jeu vidéo devient l’espace bleuté aux ambiances romantiques et architecturales où s’entretuent proprement des soldats virtuels. La maison paisible… le théâtre de la mort inaperçue d’un minuscule insecte vu en gros plan sur un fond vitreux artistiquement flou. Le supermarché ? Un super héros qui délivre de la faim en distribuant par milliers, du bétail qu’Aranthell transforme en détail pictural dans la grande tradition des natures mortes.

Dans le travail d’Aranthell, la mort côtoie la vie et l’enfance, l’âge adulte aux « vices versa » enfermés dans des contenants joliment travaillés. L’artiste se plaît à surjouer ce raffinement visuel avec une double élégance morbide en saturant ses tableaux de couleurs primaires, lumineuses et enveloppantes, en déployant toute une gestuelle gracieuse et virtuose dans laquelle s’épanouit picturalement une viande en corolles de fleurs, où la fraîcheur du rouge retarde l’inéluctable, où le reflet des vaisselles a remplacé le drapé de l’époque.

Aranthell est au carrefour des codes sociétaux d’aujourd’hui et des codes de la peinture classique. Ainsi, l’élégance du détail, la nature morte, la symbolique rencontre la tentative moderne de conjurer le morbide, cette chair qui tente de survivre le plus longtemps possible dans une aseptisation totale. C’est là la deuxième élégance morbide : Plus rien ne déborde, l’émotion est intellectualisée, la vieillesse et la mort sont enfermées dans les mêmes bâtisses, les chiffres, codes, dates, procédures sont les étapes rituelles qui archivent notre vie avant même que nous ne soyons plus et c’est à la dénonciation de cette élégance morbide, volontaire ou involontaire, que participe Aranthell en choisissant ces sujets parmi la banalité vitale du quotidien. Tout comme Rembrandt, Soutine, Bacon, montrait au sens de « monstre » la condition humaine réduit à un bout de viande suspendu, l’artiste nous montre notre nouveau statut… virtuel, emballé, embaumé, congelé, habillé, propre sur lui, à la manière des morts congelés derrière des vitres par l’écrivain Barjavel dans « ravages ».

L’œuvre d’Aranthell est une toile… où se tisse et s’emprisonne nos codes d’enfermements, c’est le cri animal passé sous silence d’une société de consommation qui maquille sa violence. Je vous invite à découvrir ensemble toute son œuvre sur 100.7 fréquence protestante le samedi 30 septembre à 17h dans « La parole est à l’artiste ».