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La problématique du ‘hasard’

L’imprédictibilité du devenir « fini » de l’œuvre abstraite lyrique en cours de réalisation, s’apparente pour moi au zygote, la somite. Chaque tache,  chaque signe, chaque trait laissés sur la toile sont autant de naissances, autant de résurrections, de transformations, de mutations, de destructions successives comme autant de morts ou l’on ne meurt pas. En cela je pense à Saint Grégoire de Nysse  : « ainsi, celui qui monte ne s’arrête jamais d’aller de commencements en commencements par des commencements qui n’ont jamais de fin ».

L’usage de ce que les hommes on appelé « hasard » en matière d’art, en tant que revendication esthétique, a été bien souvent dénigré et l’est toujours, et même de plus en plus, tant l’art (et notamment l’art contemporain) et surtout ceux qui en font la promotion, se sont évertués à en éloigner le public. Ainsi, les paramètres créatifs sensibles que l’on ne maitrise pas, ou que l’on ne parvient pas à codifier, sont estampillés « absurde fumisterie ».

Les notions d’intensité, de spontanéité, de rapidité, d’absence  de contrôle dans l’exécution, d’engagement physique, sont autant de pulsions. Elles sont l’affirmation d’une liberté ou par le truchement spirituel (hasardeux?), l’organisation chromatique et structurelle ne se produit que sur la toile, mais ne fait l’objet d’aucune préméditation, aucune intentionnalité. Aucune conscience « consciente » donc.

Mais c’est plus loin, plus haut, ou plutôt plus profondément qu’il faut descendre pour peut être trouver les forces vives productrices de ce qui a priori est un hasard. On peut ainsi se tourner vers la religion ou la science, en sachant que la première croit avoir les réponses pendant que la seconde poursuit son inlassable quête dans le monde de la rationalité. On étudiera tantôt Einstein pour qui « dieu ne joue pas aux dés », et Eisenberg qui à l’inverse croit que les molécules et la matière sont distribuées au hasard, ou encore Voltaire : « Nous dansons tous au rythme d’un air mystérieux joué au loin par un joueur de flûte invisible ».

Mais la vraie question demeure : existe t’il un hasard en toute chose?
Pour ce qui est de l’art, on peut aisément distinguer, (à défaut de pouvoir en donner une définition,  deux types de hasard : le hasard subi, et le hasard provoqué.

Dans le premier cas, on pourra parler   D’accident surgissant pendant l’acte créateur. Accident qui détruira ou à l’inverse donnera un autre tournant à l’œuvre en cours de réalisation. Le hasard subi, deviendra alors, au travers de la décision de l’artiste de le conserver ou non, un acteur majeur qui sera un élément charnière de l’œuvre finie. On peut faire référence ici à Montaigne qui nous raconte dans « les essais » la légende de Protogene, qui, ne parvenant pas à reproduire l’effet de bave sortant de la bouche d’un chien, jeta sur la toile, de colère, une éponge imbibée de peinture. Elle alla s’écraser sur la truffe peinte et symbolisa par « hasard », cette bave tant attendue.

Le hasard provoqué, déjà pratiqué dans l’antiquité à surtout suscité la curiosité des artistes au XXème siècle avec la naissance de l’art abstrait libre (non pas de l’abstractionnement). Je pense à Franz Kline, à Sam Francis, à Jackson Pollock, à Lee Krasner, à Camille Bryen, à Wols, à Francois Morellet, à Pierre Soulages, et bien sur à Georges Mathieu et bien d’autres encore. (Je précise que je n’ai inclus ni Hartung, ni Poliakoff, ni Malevitch, et encore moins Kandinski pour les raisons évidentes que le hasard ni subi ni prémédité n’entre dans les œuvres de ces artistes). Tous ces grands noms (les premiers nommés), de l’abstraction ont ceci de commun qu’ils réunissent dans leurs œuvres les deux types de hasards précités. En effet, la toute première touche qu’ils poseront ainsi sur la toile sera délibérément arbitraire (on placera une touche, trace, signe de couleur à un endroit choisi complètement au « hasard » sur la surface à peindre), et de cette première touche dépendra le reste de la création. La dernière touche qui mettra un terme à l’opus dépendra inextricablement de la toute première. On peut également citer Fabienne Verdier, qui, bien que calligraphiant des signes ayant parfois une signification à priori, efface sans cesse pour enfin trouver le trait pur, qui, à posteriori de sa signification, trouvera une force communicative par sa signifiance que le « hasard », après parfois plusieurs tentatives, viendra asseoir.
On pourrait encore allonger la liste…

Je ne crois pas au hasard, ni en art, ni en rien d’ailleurs! Je crois en la sujétion à la causalité, à la subsistance des âmes par leur migration, en la présence de l’absence, au corps subtil cher à Schopenhauer, et je crois enfin fermement aux volitions antérieures qui définissent et dessinent notre accession au « Nosce te ipsum » d’une part, et nous guident dans notre cheminement vers la connaissance, et de facto, vers l’acceptation de notre douleur existentielle.

Karls