Lettres

Un hymne à la beauté

Par Jean-Paul GUEDJ

Mon ami Wojtek à qui je posai la question de la ligne éditoriale ou philosophique de l’Association Saisons de culture me répondit sans hésiter que le seul étendard de cette dernière demeurait le beau, la préoccupation du beau, l’impératif du beau. Affirmation sans appel et sans hésitation. C’est bien, ce chant, cette aspiration, cet hymne qui désormais, sachons-le, nous réunit. Que cela se sache ! Soldats au service du beau, en place !

Mais, comme d’aucuns s’en doutent, possédant de manière quelque peu maniaque l’esprit de contradiction, je pensai, tandis que nous prenions un express au Sélect du Montparnasse – quartier que les Parnassiens jadis adoubèrent au nom de la déesse Beauté – aux rivaux du Beau que sont le Vrai et le Juste. J’eus une pensée émue pour ces deux-là. Ceux-ci écartés, je compris que pour mon vénérable ami seuls les vénérateurs du beau pouvaient être donc susceptibles d’être encartés, ou du moins « ensaisonnés ». Enfin, on m’autorisera cette façon un peu réductrice et imagée de raconter.

De ce beau exprimé comme une valeur suprême, un cap, un mot rassembleur, il s’en suivit alors un drôle de dialogue entre Wojtek et moi, échange silencieux de quelques secondes, à l’aide de l’instrument qui le détecte le mieux, le beau, voire qui le hume même de loin : non pas le nez, ni la bouche, même s’ils y participent, mais l’œil. L’œil renifle en effet le beau comme le cochon la truffe. Et parfois il discute.

Nos yeux donc débattirent pendant un court temps. Mes yeux proclamèrent à ses yeux que le beau était relatif – à chacun son goût en quelque sorte – mais ses yeux rétorquèrent à l’instar d’Emmanuel, non pas celui que vous croyez, l’autre, Kant de son nom, que le beau était universel ou sinon qu’il n’était pas ou si l’on veut que le beau n’était pas négociable. Wojtek sans rien dire me parut alors disciple du promeneur de Königsberg. Et puis nos yeux probablement las de cette polémique somme toute trop strictement oculaire se turent.

Nous nous quittâmes ainsi sans avoir prononcé un mot mais en ayant tout dit, et, rêvant encore de beau, je m’en suis allé voir du côté du cimetière de Montparnasse où Baudelaire est enterré. Baudelaire qui aurait dû s’épeler « Beaudelaire » – la première syllabe disant tout, d’ailleurs, et cela dit, Flaubert faisait la faute – écrivit sur la beauté qu’il voyait comme un « rêve de pierre » et ses Fleurs du mal, si elles sont magnifiques, ont poussé dans la boue.

Cocteau quant à lui aimait la beauté « qui boîte », fragile claudication qui la rend imparfaite et sans doute plus intérieure qu’elle ne paraît.

Jean-Paul GUEDJ, le 22/05/2017