Lettres

Wojciech Karpiński (1943 – 2020)

Par Krystyna Bourneuf et Sergiusz Chądzyński

La culture polonaise subit une grande perte. Le 18 août 2020 à Paris, Wojciech Karpiński rendit  orphelins ses amis, lecteurs et admirateurs de son talent. Il est difficile de peindre son portrait en quelques mots, d’autant plus qu’en nos temps turbulents et ingrats  il était l’héritier des figures de la Renaissance, il rejeta toute superficialité, tout mensonge intellectuel et moral.

Il était  certainement façonné par son entourage familial, son père Zbigniew, architecte, enseignait avec beaucoup de succès à l’École polytechnique de Varsovie,  son oncle Światopełk, poète, était un auteur très connu par ses poèmes satiriques, son frère aîné Jakub, sociologue,  joua un rôle important dans les mouvements des étudiants polonais contre le régime communiste  en 1968.

Wojciech Karpiński était écrivain, historien des idées, critique littéraire et enseignant, auteur des livres  importants comme Ces livres de grand chemin, Noir sur Blanc, 1992 ou Portrait de Czapski,  L’Age d’Homme, 2003.

Dans les années 1960, Karpiński entre dans le cercle de la revue Kultura, basée à Paris, où, à partir de 1970, il publie sous des pseudonymes et à partir de 1982, il est membre de la rédaction de la revue littéraire Zeszyty Literackie (Cahiers littéraires, revue fondée à Paris).

La rencontre avec les auteurs polonais des livres de grand chemin, comme Witold Gombrowicz ou Czesław Miłosz,  confirma sa conviction que la vraie culture et ses valeurs résident précisément dans les œuvres de ceux que tout régime oppressif essayait de bannir de notre mémoire. Il faut admettre que certains traits des son caractère firent de lui quelqu’un d’exceptionnel, quel que soit son lieu de naissance, quelle que soit son appartenance culturelle.

Dans son allocution à la cérémonie des adieux, le 26 août,  au crematorium du cimetière Père-Lachaise,  son ami Aleksander Smolar, politologue, éminent  intellectuel, dit:

« Je ne parlerai pas de lui comme d’un homme d’une grande érudition, de sa passion, du culte de la littérature, de la poésie, de la peinture et de son immense savoir historique. Permettez-moi de dire quelques mots sur ce qui a toujours été une source d’admiration et d’étonnement pour moi. Wojtek n’était pas son propre biographe, mais ses remarques éparpillées dans de nombreux endroits créent comme une autobiographie.  Eh bien, il a défini très tôt la réalité dans laquelle il a vécu. Je suis plus âgé que lui et j’ai vécu à la même époque que lui,  j’admire combien tôt, à 12-13 ans, il savait exactement dans quel monde il vivait et savait que ce n’était pas son monde.  Il était conscient que la liberté, le regain de souveraineté et la maîtrise de son propre destin nécessitent un nouveau langage, une nouvelle diction. »

Une autre amie de Wojciech Karpiński, Ewa Bieńkowska, essayiste et traductrice,  ajoute:

« Je ne veux aborder qu’un seul sujet, même s’il a déjà été mentionné: l’amitié dans la vie de Wojtek Karpiński.  C’était un homme particulièrement doué pour  l’amitié. C’était inouï la place que ses amis avaient dans sa vie et comment il savait les  remercier du cadeau de l’amitié.  Il pensait presque constamment à ses amis, les convoquait à son forum d’écriture et idéologique. »

Dans son dernier livre, électronique,  120 dni „Kultury” (120 Jours de « Kultura ») composé par ses soins des textes choisis dans les immenses archives de cette revue, Wojciech Karpiński écrit :

« Nous vivons à une époque où l’utilisation des trésors culturels pour la première fois n’est pas un privilège d’élite d’un groupe restreint de riches et ne nécessite pas d’efforts extraordinaires. Cela dépend de nous ce qui nous intéressera et ce que nous lirons. C’est une question de libre choix – et de volonté.  Nous pouvons construire notre propre maison de la culture libre et souveraine, une maison de mémoire et d’imagination. Nous devons garder nos distances avec l’ennemi, nous  préserver des voleurs du temps, brouilleurs de notre voix. C’était mon objectif: écouter la voix libre des autres, défendre et fortifier ma propre voix, et ainsi rester fidèle aux maîtres choisis dans ma jeunesse. »