Yves Marek-Gouverner c’est aimer
Par Alin Avila
Son allure d’anthologie cache mal l’essai que constitue cet éloge de la politique perçue au travers des leçons de l’histoire et qui peut faire penser à ce que Montaigne a conçu à propos de la morale dans ses Confessions. À lire avec attention, mais aussi le faire en zigzag, s’égarant d’un chapitre à un autre, retourner sur ses pas… Et en fermant le livre, regarder l’immuable du ciel, ce ciel sous lequel se joue la condition des hommes régulée par les passions de la politique. Le reprendre comme un roman dont l’intrigue serait l’âme humaine : sagesse, force, révolte, honneurs, ingratitude et fatalité façonnent les destins des hommes et le cours de l’histoire, ici dans cesse évoqués.
Comme le philosophe Alain, Yves Marek pourrait affirmer : « je ne sais pas ce que c’est vouloir sans faire », mais d’abord défaire les idées préconçues qui habillent, selon le camp auquel on appartient les grands hommes, par exemple, Talleyrand considérait que « l’esprit de discernement qui choisit le temps et les moyens, la douceur qui prépare les esprits, la force qui résiste aux obstacles. Et particulièrement, cette inaltérable justice qui peut-être comprend tout, qui est la grande dette du pouvoir et qui est l’éternelle amie de la pensée ». Le ministre de tous les régimes, pour autant qu’il préserve son orgueil, est capable de défendre des idées qui le dépassent, ainsi que Napoléon, qui au-delà de sa superbe, avoue qu’il « n’agit que sur les imaginations de la nation, lorsque ce moyen me manquera, je ne serais plus rien. »
Face aux grands il y a nous — leurs sujets — et c’est dans une interrelation que se fonde la partition de l’histoire, où se convoquent toutes les nuances de jeux.
La défiance : écoutons Mirabeau : « C’est la première sagesse de ceux qui portent le sceptre. » Le mensonge : Sun Tu, rappelle que la guerre et ses victoires reposent sur lui. Clemenceau, lui nous amuse, déclarant :« qu’on ne ment jamais autant qu’avant les élections, pendant la guerre, et après la chasse ». Mensonge vertueux quand, forçant un trait, gonflant des exploits, s’écrivent les légendes qui forgent la cohésion nationale.
La règle c’est : « qu’on peut être menteur sans jamais être faux » comme dit Madame du Deffand, l’égérie de Diderot. Parfois, dans l’action le mensonge se révèle moins néfaste que l’indécision.
Et Marek s’interroge « une loi qui n’agit pas est-elle une fois sincère ? ». Balzac ne l’avait-il pas pressenti : « la légalité constitutionnelle et administrative n’enfante rien… elle aplatit une Nation, voilà tout. » Considérer l’action c’est aussi reconnaître que la vérité en politique comme pour gouverner n’est pas une valeur, ou du moins, elle l’est, telle une hydre dont les têtes s’entre-dévorent.
Il faut en tout voir comment s’agencent les nuances, et les intérêts qui, dialoguant ou se disputant, font que les choses bougent, l’homme demeurant au cœur du ballet de ces passions.
L’humanisme revendiqué par Yves Marek n’est pas béat, il montre que la politique est sans doute l’art le plus sublime parce qu’il concerne tout et tous. Un livre de trois cent cinquante pages où se rencontrent de Sénèque à Charles de Gaule tous ceux que l’élan de servir la cité à conduit à s’en expliquer, l’auteur ayant fait sien le principe de ne jamais humilier et laisser place à l’intuition tandis que l’instinct devenu intéressé, conscient de lui-même, capable de réfléchir sur son objet l’élargit indéfiniment.
Oui, la politique, considérée comme un art est sans doute celui qui serait le plus humain, si l’on comprend qu’aimer c’est aussi parfois châtier…
Yves MAREK
Gouverner d’est aimer
Anthologie morale de l’art sublime de gouverner les hommes
Préface de François Baroin
Editions Balland