Portraits

Armel Louis éditeur et libraire

Entretien avec Mylène Vignon

J’ai fait la connaissance d’Armel Louis dans sa librairie La Lucarne des Ecrivains (au 115 rue de l’Ourcq dans le 19e à Paris), lors de la dédicace d’un recueil de poèmes paru aux Éditions Unicité. Un vrai libraire ! Son accueil hors du commun m’a laissé un souvenir inoubliable.

Entretien :

Cher Armel, quel a été votre parcours avant d’ouvrir cette librairie dans le 19éme ?

Merci, Mylène, pour cette question puisque grâce à vous je me rends compte que cela fait quarante ans, depuis 1981  – l’année de la Loi Lang du prix unique pour le livre en France – que je pratique ce métier de libraire,  dont une quinzaine à La Lucarne des Ecrivains créée en 2006.
J’ai attrapé cette vocation comme la varicelle grâce à une vieille dame digne de Babar, mademoiselle Chatignoux, qui elle-même pratiquait cette profession depuis le début des années cinquante et qui m’a communiqué son savoir et sa longévité. Je peux dire que j’ai soixante-dix ans d’expérience vivante derrière moi, soit plus que mon âge.
Si l’on ajoute celle de mes devanciers, Pierre Larousse ou Louis Hachette libraires avant d’être éditeurs,  celle de Diderot qui s’interrogeait sur ce commerce entre notable et contrebandier, ou de Montaigne grand lecteur devant l’éternel ; si l’on inventorie les stocks de livres imprimés par Gutenberg dans ce qu’on appelait une librairie, ou encore les copies des moines, les tablettes ou les papyrus de la bibliothèque alexandrine, ou bien plus loin encore la grotte de Chauvet dans laquelle les ours géants rivalisaient d’ardeur pour préserver leur tanière des humains artistes collectionnant les histoires dans leurs têtes afin de les dessiner avant de les écrire, j’affirme, oui j’affirme avoir trente ou quarante mille ans de vécu livresque derrière moi.

Pouvez-vous nous expliquer cette enseigne La Lucarne des Ecrivains ?

A la base, il y avait un groupe de copains ou de copines qui ne se connaissaient pas encore, fédérés par Claude Duneton et par moi-même : des écrivains, journalistes, traducteurs, artistes, lecteurs ou éditeurs, souhaitant un lieu convivial où, autour du livre, puissent se retrouver les pratiques littéraires et artistiques : lectures, récitals, expositions, tout ce qui était possible dans ce cadre.
Une fenêtre, une lucarne pour tous ces tenants de l’écriture ou de l’art, une ouverture vers le monde dans un quartier populaire. Il y avait dans les plus denses périodes une centaine de soirées et une vingtaine d’expositions par an à La Lucarne des Ecrivains !
Dès 2007, les évènements les plus divers se sont doublés d’une Gazette de la Lucarne, où sous l’impulsion de quelques-uns comme Paul Desalmand, Marc Albert-Levin, Gisèle Joly ou Jean-Baptiste Féline, une centaine de numéros mensuels sur dix ans virent le jour, avant que ces Gazettes soient réunies en plusieurs forts volumes.
Cela m’a donné envie en 2016 de prolonger cette expérience d’édition de revues par des ouvrages indépendants mêlant textes et images, art et littérature sous l’enseigne de la librairie-galerie devenue ainsi éditrice.

Quelles ont été vos plus belles rencontres ?

Il est compliqué de se rappeler, encore moins de hiérarchiser, les milliers de rencontres et les centaines d’expositions dans cette librairie utopique sinon atypique, où il y a eu des représentations théâtrales comme  des projections de films, des performances et des concerts, des ateliers d’écriture ou des récitals de chansons, et même des mariages ou bien des meetings, mais surtout des lectures de poèmes, de nouvelles, de contes ou de romans dans de nombreuses langues, accompagnées d’engueulades homériques, d’ennui profond ou de fous rires.
Parmi les plus insolites, je me souviens d’une rencontre autour de John Gelder, intitulée Prophète ou provocateur ?, devenue totalement bordélique jusqu’à pas d’heure. Une autre sur l’Anthologie des chansons paillardes de Pierre Enckell pendant laquelle hommes et femmes les plus distingués entonnaient en chœur – et par cœur – des horreurs. Celle avec le Bréviaire du misogyne de Pierre Merle où le public s’écharpait suivant son sexe dans un concert de huées.
Cependant, le plus souvent, l’amitié et la reconnaissance prédominent dans l’esprit de ces soirées pour tous ces musiciens, peintres, poètes, écrivains ou chanteurs qui voient non seulement une lucarne, mais des portes et des bras grands ouverts pour les accueillir.

Avez-vous une ligne éditoriale ?

No logo. Pas de collection. Pas de formatage aux éditions La Lucarne des Ecrivains. Des plaquettes comme des bouquins épais. Chaque texte, des formes courtes comme le poème (haïku, fable, sonnet, vers libre), le récit poétique, la chanson, le conte ou la nouvelle, ont leur présentation spécifique. Que ce soit un essai, une bande dessinée, un roman graphique ou un recueil de photos, des aphorismes ou des tautogrammes, textes, typographie et images s’enrichissent. Il y a donc toujours un auteur et un artiste qui collaborent ensemble, un graphiste qui les associe. L’humour, l’insolite, le curieux, le nouveau, l’inédit, la prose comme la poésie, « tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux », pour reprendre Voltaire.

Quel est, parmi tous, votre livre préféré ?

Le livre préféré est souvent le dernier qu’on a aimé.
Chaque livre – comme chaque lecture – demeure une surprise renouvelée.
Aussi, mon livre préféré est celui que je n’ai pas encore lu, ni édité.

Quel futur projetez-vous sur le monde du livre ?

Je ne suis pas inquiet pour les livres comme pour les libraires. On achète et lit en France, chaque année, autant de livres que pour tout le dix-neuvième siècle ! Sans parler de toutes les autres formes de lectures hors du papier. Le monde du livre a toujours été à la pointe des technologies – les premiers objets vendus sur Internet étaient des bouquins anciens – tout en étant le gardien de la mémoire et le tremplin de la création par sa diversité comme sa pérennité.

Quels sont vos projets ?

Je me partage aujourd’hui entre des livres d’artistes, des ouvrages autour de Paris, des œuvres complètes, des anthologies et des recueils de poésie.
Comme Ravaillac, je suis écartelé.

Une devise qui vous correspond ?

L’important, c’est d’aimer.