Portraits

Jean-Marc Dumontet

Un homme de défis

Producteur de Nicolas Canteloup, d’Alex Lutz, de Bérengère Krief… Président de l’Académie des Molières, propriétaire de plusieurs salles de spectacles à Paris dont le Grand Point Virgule, Bobino… découvreur de talents, passionné par son métier de producteur, Jean-Marc Dumontet bouge les lignes par son positivisme et son exigence qualitative.

Jean–Marc Dumontet, lorsqu’on regarde votre parcours, on pense à ces trois phrases de René Char Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. Pensez-vous qu’elles soient applicables à votre personne ?

La vie recèle d’opportunités, c’est un terrain de jeu extraordinaire. Je suis persuadé que lorsqu’on embrasse un défi, souvent on le réussit. A chaque fois que je suis allé sur des terrains que je ne connaissais pas comme celui du spectacle, que j’ai fait les choses avec conviction, en m’imposant des défis, en me donnant les moyens – c’est-à-dire ceux de mon engagement – ça a plutôt fonctionné. Et aujourd’hui, j’ai de plus en plus envie de semer ce discours, de le tenir car les gens se mettent trop souvent des barrières qui les empêchent d’exploiter leur potentiel.

Est-ce que c’est quelque chose que l’on vous a transmis ?

Non, j’ai grandi dans un cadre où tout était déjà écrit ; père et grand-père notaire, frère de notaire… j’ai étudié moi-même le droit avant de prendre un chemin de traverse parce que ça ne me correspondait pas. J’adhère profondément à la philosophie libérale et m’extasie en permanence devant le génie humain ; je ne parle pas de moi, même si j’adorerais avoir du génie. L’homme est capable de trucs incroyables et cela me renforce dans l’idée que tout est à explorer, à imaginer. Toutes nos initiatives individuelles sèment de petits cailloux qui font avancer l’humanité, c’est en ça que je suis un libéral pour l’effervescence, le foisonnement.

Ce sont mes convictions libérales qui expriment mon parcours. Frédéric Bastiat, député des Landes en 1848 était un grand penseur libéral et aussi Jean-Marie Benoist. C’est en lisant ces économistes, ces philosophes que j’ai cru à la libre entreprise. Je vais avoir cinquante ans et jusqu’à l’âge de 25, j’ai vécu deux blocs importants : celui de l’Est et le monde libre. Ce n’est pas pour rien qu’on a fait avec Alex Lutz une action sur les migrants car c’est à chacun de nous de faire de petites choses pour apporter un peu de chaleur à l’humanité et nous sommes tous porteur de ça. Je n’attends rien d’en haut, j’attends tout d’en bas car ce ne sont pas les politiques qui ont le pouvoir, mais nos milliards d’initiatives que nous faisons tous au quotidien.

Quelle serait votre définition du pouvoir ?

Je ne sais pas mais on a tous du pouvoir. On vit la plus belle période de l’humanité bien que je sois accablé par ce qui se passe en Syrie. La période actuelle est très riche de créativité, d’inventivité à tous les niveaux. Il serait bien que nous soyons porteurs d’un peu de positif, vu que nous sommes tous responsables de la bonne marche de l’humanité. Et c’est pas en jouant sur les peurs en permanence qu’on avance. C’est vrai aussi que l’homme a ses travers et des peuples en souffrent mais nous, dans notre société occidentale, on a tous du pouvoir. Et c’est cela que j’adore dans le métier que j’exerce, même si un libéral se méfie toujours du pouvoir. Je suis seul maître à bord et les échecs, c’est moi, les succès, c’est moi et j’ai toujours la possibilité dans ce que je fais de changer le cours des choses et ça c’est assez extraordinaire. Les politiques n’ont pas de pouvoir, c’est ça le grand leurre, on a une vision monarchiste de la vie politique en France et l’on croit que tout vient de là-haut .Ce qui révolutionne aujourd’hui l’économie c’est Uber. Le monde est ouvert et c’est une chance car ce sont des gains de productivité géniaux. Il faudrait que les pouvoirs publics laissent les compétiteurs jouer à armes égales avec leurs concurrents sans qu’ils assaillent les entreprises de règles, de coûts monstrueux. Ce ne sont pas les politiques qui créent des emplois. Ils ne savent pas du tout comment ça fonctionne, ce qu’est une entreprise, ce qu’est la compétition. Cela engendre une certaine morosité et beaucoup de votes contestataires alors que c’est à chacun d’entre nous de faire les efforts et pourquoi pas d’être son propre patron ? Parce que tout ça va beaucoup bouger. Ce monde change et les hommes politiques sont toujours en retard et c’est normal.

Sont-ils en retard parce qu’ils sont coupés de la base ?

Par la force des choses, on est coupé de la base quand on est homme politique, mais surtout, ils sont coupés du fonctionnement économique et l’économie ce sont des millions de décisions individuelles.

Y-a-t-il un siècle qui vous aurait plu ?

Le nôtre, je déteste la nostalgie. Peut-être que je me trompe mais les gens qui nourrissent des nostalgies se gâchent le temps présent. C’est une interrogation que j’ai rayée de mon interrogation intellectuelle. Je peux aimer la période de la révolution, l’épopée napoléonienne ou le parcours d’un Kennedy sans avoir envie de vivre en 1960. Je ne vois pas pourquoi je serais plus intéressé par la campagne d’Egypte de Bonaparte que par ce qui se passe, aujourd’hui, à San Francisco sur un Airbnb qui n’a pas une chambre d’hôtel, qui a juste un logiciel. Ce sont des aventures géniales qu’on ne voit pas et qui changent tout, profondément. Je n’ai pas de nostalgie d’époque mais ce qui est fascinant, ce sont ces volontés d’hommes qui rendent capables la réalisation de grandes choses. Plus que des époques, ce sont des destins qui m’impressionnent.

En dehors du théâtre, vous avez produit un format court. Êtes-vous attiré par la télévision ?

Je fais de la télé quand je produis Nicolas Canteloup mais c’est un processus de fabrication moins amusant, moins satisfaisant que le théâtre. Quand avec Alex Lutz, on travaille pendant des années que je suis son contradicteur, qu’on avance ensemble et que derrière on a la chance d’avoir des salles pleines tous les soirs, j’ai une vraie émotion que je n’aurais pas sur un programme télé. Vous n’avez pas ce plaisir-là à la télévision et j’ai la chance dans mon métier de beaucoup caresser mon plaisir, de pouvoir revendiquer en permanence une fierté et il n’y a rien mieux que la scène pour répondre à cette fierté. J’aime beaucoup être sur le contenu des choses mais la télé vulgarise tout et il n’y a jamais la grâce à la différence du spectacle. J’irai sans doute parce que les opportunités sont là, parce qu’il faut les saisir, qu’il faut aller sur d’autres aventures qui sont très complémentaires avec ce que je fais, mais ce n’est pas la même histoire.

Quand vous dites que la télé vulgarise, c’est que cela tire vers le bas ?

Parce que naturellement, l’image vulgarise ! Je suis convaincu qu’il faut tout le temps tirer vers le haut. Je parie en permanence sur l’intelligence du public. Ce n’est pas lui qui en cause, c’est la puissance et la dégradation de l’image qui dévalorisent. Très vite vous pouvez devenir démago, vulgaire même s’il ne s’agit que d’une attitude, d’un comportement, d’un regard. Le public n’attend rien, c’est à nous de le surprendre, de le nourrir, de lui donner tout le temps des choses intelligentes et un artiste doit toujours donner plus et mieux.

Vous êtes très à part des autres personnes de ce milieu, vous avez une vision assez globale, avancez-vous au grès de vos rencontres, de vos désirs ?

Des rencontres non, des désirs, oui. Ce sont les désirs qui font les rencontres. J’ai cette prétention-là. J’ai eu beaucoup de rencontres heureuses dans ma vie mais je ne les ai pas attendues. Je sais les susciter, les enrichir, les provoquer. Une de mes qualités est d’être opportuniste, d’aller vers mes désirs. Je dois mon parcours à mes choix, pas à mes rencontres parce que si je n’avais pas rencontré X-Y, j’en aurais rencontré d’autres.

Est-ce qu’une rencontre peut susciter un désir ?

Bien sûr mais c’est parce que je suis à la recherche de ces désirs-là que je fais des rencontres.

Est-ce qu’une rencontre peut révéler un désir dont vous n’étiez pas conscient ?

Bien sûr que oui, mais je mets le désir d’avancer, l’opportunisme, le goût d’entreprendre au préalable de ces rencontres. Et c’est justement parce qu’il y a tout cela que les rencontres font naître des désirs.

Où est votre surprise alors ?

Bien sûr que je suis surpris, je suis en alerte permanente. Ce qui me grise, c’est partir de rien, cela crée du désir.

Vous êtes une sorte de pionnier ?

Oui, on défriche tout le temps mais je suis un grain de sable par rapport à tout ce qu’il y a à faire. J’ai ou plutôt j’aurais la chance de ne jamais être satisfait. Ce qui est intéressant, c’est de voir plus grand. Ceux qui réussissent ne sont pas les plus brillants mais les plus opiniâtres qui ne s’imposent aucune limites et veulent avoir le terrain de jeu le plus grand.

Propos recueillis par Sabine Hogrel