Portraits

Elizabeth Czerczuk. Le corps comme instrument métaphysique de travail

Par Mylène Vignon

Dans le théâtre parisien qui porte son nom, nous avons rencontré Elizabeth Czerczuk, metteuse en scène, chorégraphe, comédienne et auteure, originaire de Wroclav, en Pologne. Une personnalité hors du commun, un vrai talent, une vie consacrée à cet art sensible et complexe qui domine son parcours depuis l’enfance.

Destinée, comme le voulait la filière familiale, à une carrière de médecin, la jeune fille entame de brillantes études de biologie-chimie, dans sa ville natale. Son père lui offre un crâne pour qu’elle en apprenne les différentes parties en latin. Cet étrange cadeau lui ouvre paradoxalement d’autres voies sur le fonctionnement du cerveau et la plonge dans l’histoire de Salomé. Elle renoue alors avec les passions de son enfance : la poésie et le théâtre, et s’oriente vers la médecine, moins celle du corps que celle de l’âme.

Elizabeth avait déjà fait ses premiers pas sur les planches, à l’âge de huit ans, dans un rôle de princesse. Plus tard, à l’époque du lycée, toujours à Wroclaw, elle participe à des ateliers théâtre très portés sur l’expression corporelle. Mais surtout, dans le cadre du Théâtre Laboratoire de Jerzy Grotowski, son premier maître, elle apprend, notamment que l’art du comédien peut se révéler cathartique grâce à l’engagement physique extrême. Sa conviction s’en trouve renforcée. À travers le théâtre, elle pourra concilier ses connaissances acquises sur l’anatomie humaine avec sa passion artistique, et réaliser son rêve : devenir médecin de l’âme.

Au début des années 1990, lors de ses études théâtrales à Cracovie, elle rencontre Tadeusz Kantor, dont l’univers fascinant rejoint les fantasmes métaphysiques de la jeune fille. Cette influence l’accompagne jusqu’à Paris, où elle arrive en 1992, la tête remplie de projets exaltants, mêlant les langages de la danse et de la scène.

En 1994, remportant un concours organisé par le ministère de la Culture, elle poursuit ses études au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, où elle suit la classe de Daniel Mesguich. Son nouveau professeur la conseille dans sa première mise en scène, Salomé d’Oscar Wilde, où elle joue le rôle-titre, munie du fameux crâne.

Parallèlement, à l’école de Marcel Marceau, voisine du Conservatoire, elle prolonge sa pratique du mime, acquise en Pologne selon la méthode de Henryk Tomaszewski, en expérimentant d’autres approches de cet art auprès du mime français.

Plus tard, elle joue au Théâtre de la Ville dans un spectacle de danse de Karine Saporta. C’est dans ce lieu qu’elle fera la connaissance de Pina Bausch. La dramaturgie et l’art de la chorégraphe allemande deviennent pour la jeune Polonaise de véritables sources d’inspiration.

Fidèle à sa mission créatrice, Elizabeth avance désormais sur le chemin de ses travaux artistiques, jalonné de nombreux spectacles, suivant un processus expérimental,  à la recherche d’une nouvelle forme dramaturgique pluridisciplinaire.

Aujourd’hui à la tête du théâtre qui porte son nom depuis 2017, elle s’évertue à développer ce lieu, en attirant un public séduit par le souffle de son art.

« En effet, déclare la directrice du T.E.C., le matériel tue malheureusement l’âme et l’esprit créatif, c’est pourquoi seuls les artistes peuvent apporter le nouvel élan susceptible de lutter contre cette “moutonisation” dénoncée par Witkiewicz et qui fige le temps. »

En explorant toutes les voies sensorielles, Elizabeth vise un métissage de la forme.

La mission qu’elle s’assigne est de sortir de cet espace-temps qu’occupe un art décadent, par le chemin de la métaphysique, pour concevoir une forme toujours plus inédite, propre à combattre l’inassouvissement de l’époque.

« Mon propos, précise la metteuse en scène, est de toucher le spectateur par le retour à ses propres sources, et d’atteindre la pureté de l’émotion ; plongé dans un espace immersif, celui-là rentre en communion avec le mystère de l’existence. »

Propos visiblement atteint… au vu des distinctions décernées par l’ambassade de Pologne ou d’autres institutions (médaille de platine de l’académie Arts-Sciences-Lettres, par exemple).

Spectacle après spectacle (Les Inassouvis, Dementia praecox, Matka, Requiem pour les artistes, Yvona et Dementia tremens), Elizabeth s’inspire notamment de l’œuvre de ses auteurs préférés : Stanislaw Ignacy Witkiewicz, visionnaire, chantre de la forme pure, et Witold Gombrowicz, grand-maître de l’absurde.

Théâtre Elizabeth Czerczuk, 20, rue Marsoulan, 75012 Paris.