Portraits

Jules Matton compositeur

Par Mylène Vignon

J’ai rencontré Jules Matton le 1er mars 2014 à la Fondation Taylor, lors de sa Carte blanche dans le cadre de l’évènement Rémanence. J’y étais conviée par le peintre Jérôme Delépine à lire le même jour quelques poèmes devant une œuvre d’Olivier Debré.
Elevé par un père artiste (Charles Matton, décédé en 2008, était un peintre, sculpteur, dessinateur, photographe, cinéaste) et une mère romancière et essayiste, Jules Matton a choisi seul sa voie, au gré de sa vocation : la musique.

Né à en 1988 à Paris, il entre à treize ans au Conservatoire à rayonnement régional de Paris pour y étudier le piano auprès d’Yves Henry et de Pierre Réach, tout en travaillant l’improvisation et la composition en autodidacte. En 2007, ses études de piano terminées, il se perfectionne en harmonie et orchestration dans les classes de Stéphane Delplace et de Guillaume Connesson. Dans le même temps, il étudie la philosophie à l’Institut Catholique de Paris et obtient sa licence en 2010. La même année, il est lauréat de la Fondation Marcel Bleustein-Blanchet pour la vocation, puis il est admis à la Juilliard School en composition, où il intègre la classe de Christopher Rouse puis, en 2012, celle de John Corigliano.

Lors de sa Carte blanche du 1er mars 2014, Jules Matton nous a offert un pur moment de grâce avec sa Sonate pour deux violoncelles, écrite au début de cette année. Admirablement interprétée par Victor Julien-Laferrière et Louise de Ricaud, cette pièce chatoie une large gamme de couleurs, une puissante richesse harmonique, des fulgurances rythmiques aussi brillantes que surprenantes. Je me suis surprise à penser, lors des derniers accords puis à l’instant où se savoure la vibration du silence –, que Jules Matton possède ce don de « mettre ensemble des notes qui s’aiment », selon les mots si justes de Mozart. Pour clore le concert, Matton s’est mis au piano pour improviser. Une danseuse – la belle et talentueuse Soa Ratsifandrihana – a surgi sur scène, et les deux artistes ont entamé un dialogue artistique aussi puissant qu’émouvant. Se succédant sensiblement et logiquement, comme naissant l’un de l’autre, les sons du piano égrainaient un poème, une histoire, une hallucination. L’un de ces instants où, nous conviant dans l’intimité secrète de la création, l’œuvre se déroule, note à note, en douceur ou, au contraire, dans la plus grande violence – un tel instant procède de l’envoûtement. Tel un dialogue entre dieux et démons, c’est bien à une dialectique monstrueuse du précipice, de l’infini et de la tendresse entremêlés que nous a conviés la musique de Jules Matton ce jour-là.

Matton a écrit diverses œuvres de musique de chambre – dont un Quintette pour clarinette et cordes, un Quatuor pour piano et cordes, une Sonate pour piano, un Trio pour violoncelle, clavecin amplifié et piano, et d’autres œuvres encore, notamment plusieurs pour piano solo. Il a composé des musiques de films, notamment pour Arte, ainsi que des musiques de scène, pour le Théâtre 13 et Le Lucernaire. En tant qu’improvisateur et compositeur, il a travaillé en tandem avec le chorégraphe Garth Johnson, avec le peintre et photographe Nicolas Guilbert, l’artiste Marco Bruzzone, le metteur en scène Philippe Calvario (dans le cadre du programme « Villa Médicis hors les murs »), ainsi qu’avec son frère, le metteur en scène Léonard Matton. En mars 2012, Jeffrey Milarsky dirige le Juilliard Orchestra pour l’enregistrement de son Essay for Orchestra et, à l’été 2012, il fait ses débuts radiophoniques avec une Ballade pour luth, créée par Thomas Dunford dans le cadre du festival Radio France à Montpellier. Il compose par la suite un Concerto pour contrebasse à l’attention du contrebassiste Rémy David Yulzari, une Valse pour la harpiste Mélanie Génin et son groupe, puis, dans la foulée, un Concerto pour clavecin à l’attention du claveciniste Jean Rondeau.
Après l’obtention de son diplôme de la Juilliard School et son retour à Paris à l’été 2013, parallèlement à la composition, il mène des recherches sur la question du temps musical sous la direction du phénoménologue Jérôme de Gramont, dans le cadre de son mémoire de Master de philosophie à l’Institut Catholique de Paris – lequel lui accorde en septembre dernier une Bourse d’excellence.
L’équipe de Saisons de Culture se réjouit d’entendre de nouveau Jules Matton, le 6 juin 2014 à 20h, au Temple de l’Oratoire du Louvre cette fois (145 rue Saint Honoré, 75001 Paris) avec la création d’un Trio avec piano, commande du Trio Suyana, ainsi qu’une Sonate pour piano qu’interprètera le pianiste américain Zachary Hughes. Seront également joués lors de ce concert le féroce deuxième Trio de Chostakovitch ainsi que le tendre Trio élégiaque de Rachmaninov. Confrontation des contraires, émulation des sentiments… La perspective de cette soirée est celle d’un immense et joyeux plaisir.

Prochain concert : Temple de l’Oratoire du Louvre, 6 juin 2014, 20h