Portraits

Sabine de Courtilles

Entretien avec Mylène Vignon

La rencontre avec Sabine de Courtilles, fut un joli moment de partage, lors d’un déjeuner bulgare, improvisé au siège des éditions Area. J’ai été interpellée par l’originalité des œuvres, leur rapport à la nature, ajouté au talent de Guillaume Couffignal pour les bronzes… ce fut un vrai bonheur !

Entretien :

Chère Sabine, avais-tu déjà dès l’enfance des prédispositions à l’art ?

Des prédispositions pour la liberté certainement…Arpenter les vastes espaces de mon Limousin natal à vélo me ravissait. Nous habitions un petit village perdu près de Limoges. Nous étions libres alors d’aller où nous voulions. Tout était prétexte à explorer, y compris d’aller seule à la messe tôt le dimanche matin !

Quel a été ton cursus ?

Tardif ! Il m’a fallu un événement professionnel malheureux vers 35 ans pour me jurer qu’on ne m’y reprendrait plus et qu’il me fallait « mon domaine à moi ». Le dessin à la Grande Chaumière est ainsi entré dans ma vie.

À quel moment as-tu fait le choix de travailler dans le volume ?

La frustration était devenue trop grande. Il me fallait la matière en main. Le souvenir du choc éprouvé toute jeune devant Sakountala de Camille Claudel m’a enfin ouvert la voie vers la sculpture. La terre puis la pierre ont envahi ma vie au point de lâcher mon job pour m’y consacrer totalement. C‘était merveilleux et terrifiant.

Un jour, je me suis ruée sur un pauvre rondin de bois couvert d’écorce pour le dépouiller aussitôt. L’appel de la forêt avait sonné.

Tu recueilles dans la nature des fragments de bois abandonnés, parfois détrempés, voire pourris, peux-tu nous expliquer comment tu sélectionnes, ces trésors ?

La première fois, j’étais partie en forêt pour aller chercher ces fameuses écorces. Et je me suis trouvée face à face avec Angel’A, un magnifique vestige encore dressé d’un chataignier gigantesque terrassé dix ans plus tôt par la grande tempête de 99. L’émotion a été énorme.

La quête a commencé. Rechercher des bois en effet fracassés, abandonnés à la pourriture et pourtant encore durs, résistants. Je les trainais jusqu’à mon « atelier de remise en forme », les gratter, les épurer, les traiter, les laisser sécher pour être stupéfaite de découvrir un jour leur beauté brute, leur odeur, leur forme si suggestive qui m’avait attirée alors.

Le résultat final est-il déjà évident, lors de la découverte ?

Certains bois pourrissent en laissant de grands trous, lointainstémoignages d’une branche désormais disparue. J’aime ces traces de batailles homériques, gagnées ou perdues de haute lutte. Les bois n’en sont que plus beaux. Il me semble qu’ils parlent encore. La forêt est généreuse, mais la récolte est le fruit d’une sélection attentive et soigneuse.

Malheureusement aujourd’hui, les arbres anciens disparaissent.

La musique joue t’elle un rôle dans ton travail ?

Radio Classique est mon compagnon d’atelier. Sitôt arrivée, sitôt branchée. J’aime ne pas savoir ce que je vais entendre, et en même temps le tempo de la musique classique colle bien avec le rythme de mon travail.

Comment est née cette collaboration avec ta fonderie ?

Le monde de la fonderie est un enchantement pour moi. J’adore l’atmosphère rude des ateliers, le bouillonnement d’énergie qui y règne, le bruit des outils qui cognent, le feu qui fascine et fait peur, la maitrise des gestes de ceux qui savent.

Mes premiers bronzes ont été fondus dans la fonderie Godard, de Dina Vierny à Malakoff. J’y entrais alors comme dans un temple, sur la pointe des pieds. Dina est morte et la fonderie a finalement fermé.

Grâce à un article de presse, j’ai découvert il y a peu de temps l’extraordinaire bonheur géographique qui mettait la fonderie de Guillaume Couffignal, à toute proximité de mon nouvel atelier. Grâce à lui, à son savoir-faire unique et à sa très grande générosité, les bois longuement façonnés peuvent enfindevenir des sculptures de bronze.

Quels sont tes maîtres en matière de sculpture ?

La première d’entre tous est Camille Claudel. Mon émotion devant ses œuvres est toujours intacte. Brancusi me fascine par l’extraordinaire simplification de la forme, Miro pour sa joie de vivre, Calder pour ses mobiles que j’aurais voulu inventer, le mur sans fin d’Ellsworth Kelly, la puissance du mouvement de la Victoire de Samothrace, bien sûr la Pieta et le Moïse de Michel-Ange…

Des projets d’exposition pour cette année 2020 ?

En espérant que nous puissions retrouver notre liberté, nous préparons avec Alin Avila une exposition personnelle à la Madeleine en octobre prochain. Construite comme un parcours depuis la forêt jusqu’aux entrailles de Paris, elle rassemblera une vingtaine d’œuvres animées et chatoyantes.

Une publication, peut-être ?

Et un livre également avec Area, qui pour la première fois illustrera et donnera corps à ce parcours.

Quel serait ton rêve le plus fou ?

Parler arbre.