Portraits

Sam McInnis ou la peinture plaisir

Olivier de Champris a rencontré Sam McInnis lors de sa dernière exposition, "Neverland", à la Galerie Almine Rech à Bruxelles. Entretien

Voici un artiste qui ne se paie pas de mots. Il le dit d’emblée: « je peins par plaisir ». Des toiles colorées, des nature-mortes, des portraits de Michael Jackson ou de la Princesse Diana. La jeunesse et la maturité ont rendez-vous dans cet entretien. Où l’on découvre le secret des jeunes artistes américains : y croire et y aller.

Prince George & Prince William, 2018, courtesy of the Artist and Almine Rech Prince George & Prince William, 2018, courtesy of the Artist and Almine Rech


Comme l’écrit Alison Gingeras,  » McKinniss est devenu un réaliste néo-magique, combinant «le réel et l’étrange », transfigurant la réalité de l’ère Internet dans sa représentation de notre « pays imaginaire » contemporain ».
OC: Vous êtes un jeune peintre et vous venez des USA. Que pensez-vous de la situation de la peinture aujourd’hui ?
McI: Lorsque la peinture était sensée mourir, c’est l’histoire qui devait finir… Depuis plusieurs évènements se sont produits. Après la fin de l’histoire, le temps est devenu plus court, de sorte que ne restait plus que le plaisir: profiter de ce qui restait disponible. La peinture devenait pertinente et nulle raison n’aurait pu venir vous dénier le droit à ce plaisir. L’histoire s’est vue devoir accepter la peinture qui elle-même redevenait accessible, de même que tout ce qui appartenait au passé, les styles de peinture, les conflits. Je me situe principalement du côté du plaisir. La peinture fait usage de ces pensées et de ces modes d’ action.
OC: Le sujet est-il aussi important pour vous que l’acte de peindre lui-même?
McI: Les deux sont importants : le sujet est nécessaire pour suspendre l’action au-dessus du sujet, comme une armature sur laquelle suspendre la peinture, avec tout ce que cela comporte: l’application de la peinture sur la surface, gestes, matérialité, couleur, sensualité et la manière dont cela réagit avec le medium, de la manière dont cela peut être manipulé par des mains humaines, dicté par l’œil humain, formé par le cerveau humain. Tout cela connecte le corps de sorte que le sujet devient un autre corps humain, active votre propre corps et un processus de plaisir amène à connaître un autre corps humain.
OC: Vous voyez dans la peinture l’image-même d’un corps humain. Et dans une nature – morte ?
McI : Ce n’est pas un corps, bien sûr, mais c’est une expérience humaine: c’est proche d’un corps humain. Si vous prenez un vase avec des fleurs, ou des fruits sur un plat.. on est proche d’une délectation humaine.
OC : J’ai visité la semaine dernière la réplique de la Grotte Chauvet, où vous voyez des dessins d’animaux et même de corps humain, qui remontent à 36 000 ans dans le passé, et vous vous dîtes que, depuis tout ce temps, l’homme n’a fait aucun progrès en matière de dessin…
McI : Vous avez de la chance ! Il se peut qu’il n’y ait jamais eu aucun progrès. Il se peut qu’il n’y ait jamais eu que « thème et variation ». Et le thème a toujours été l’activité humaine. Pour atteindre ainsi un certain niveau d’énergie. Le reste est la variation sur ce thème. Je pense que la peinture continue d’amener de l’énergie, la peinture bien faite, composition, couleur, tout revient à la force, l’énergie l’activité humaine, et le roman, et les drames. C’est bien de voir une énergie amenée dans l’espace d’un galerie. Et ainsi à un auditoire, avec un point de vue bénéfique et, je l’espère, généreux pour chacun, et non pas ironique ni cynique. Je n’ai pas de programme.
Une expression autre que puissance est le mot plaisir.
OC: Cette énergie dont vous parlez peut concerner aussi le monde animal ?
McI : Oui absolument!
OC : Sur le portrait de Mickael Jackson vous projetez une forte lumière: y-a-t il une dimension spirituelle ?
McI : Exactement. Je savais que cela évoquerait une contradiction parmi les possibles humains. C’est un performeur. A la base il y a une photo d’un paparazzi qui en accentue le caractère dramatique. C’est une image très reconnaissable dans laquelle on peut voir une contradiction ou un cocktail de possibilités d’émotions humaines : peur, anxiété, reconnaissance, amour de son talent exceptionnel.
OC : Pour vous quel est le futur de la peinture ?
McI: J’espère que le futur de la peinture nous surprendra. Nous allons continuer d’y trouver du plaisir en attendant mieux.
OC: Quelles sont vos références en art ?
McI : Il y en a tellement ! Je ne veux pas que les conservateurs de musées perdent leur place!… C’est très personnel. Je ne sais pas, parfois c’est Manet, parfois Sargent, ou Van Gogh… ça change tout le temps !

OC : Pour terminer, puis-je vous demander quelle relation vous voyez entre art et religion ?
McI : Je dirais que l’enfer est réel, tout comme le Ciel. Ils sont réels dans mon imagination, on peut y croire.
Il ajoute, pour conclure:
« La fonction de l’art est de rendre les nouvelles connaissances plus faciles et plus rapides. Le plaisir rend les choses plus rapides, c’est un élément de motivation. C’est comme cela que les nouvelles connaissances sont poétiques, élégantes. »