Regards

Chronique du film La Chimère de Alice Rohrwacher

Par Chantal Laroche Poupard

Comme ses précédents longs métrages Alice Rohrwacher réalisatrice italienne pose la question du passé, de la nostalgie, de la quête de l’amour perdu, avec comme arrière-fond, l’histoire de la contrebande archéologique qui est devenue en Italie dans les années 1980 une pratique populaire et un acte de révolte.

Arthur jeune archéologue britannique retrouve en Toscane sa bande de Tombaroli qui pillent le passé et ses merveilles archéologiques. Certains Tombaroli savent localiser les tombes étrusques par une observation perspicace de la végétation. Arthur a ce don qu’il met au service de ses amis brigands : il ressent le vide, le vide de la terre dans laquelle se trouvent les vestiges d’un monde passé. Nostalgique, poursuivant sa chimère, Arthur ressent aussi le vide qu’a laissé en lui le souvenir de son amour perdu pour Beniamina, la jeune fille au ruban rouge. Dans la superbe séquence finale, Arthur, tel Thésée affrontant le minotaure, affronte le danger tandis qu’il suit ce même ruban rouge, qui, comme le fil d’Arianne, le mène vers la quête de l’être aimé qu’il retrouvera dans la mort.

La mort, la destruction est partout même dans ce que fait l’humanité, qui se sent le droit de disposer de toutes les ressources naturelles de la terre : ces tombaroli, pillent le passé, pillent les richesses terrestres tout en poursuivant leur chimère sans parvenir à la saisir ; c’est pourquoi Alice Rohrwacher prend comme décor une centrale à charbon, en bord de mer où l’on jette toutes sortes de déchets. Elle dit : « Dans les décors, je cherche toujours à conserver cette dualité : à la fois, l’aspect magnifique et les traces apportées par l’être humain au fil des époques et la destruction des soixante dernières années.

La réalisatrice utilise plusieurs formats : le Super 16, support narratif qui s’adapte au thème de l’archéologie : celui du 35 mm, qui montre la part picturale du cinéma et celui du 16 mm, qui évoque l’écriture manuscrite de la page d’un livre.

Quant aux interprètes Alice Rohrwacher fait jouer des gens du village au côté de la superbe Isabella Rossellini, de Carol Duarte, du grand acteur napolitain Vincenzo Nemolato, de sa sœur Alba Rohrwacher et surtout de l’émouvant acteur britannique Josh O’Connor auquel elle trouve un regard et une allure nostalgique. En effet Arthur est à la fois dedans et dehors, dans le monde des vivants et dans celui des morts. On parle de lui comme de quelqu’un qui n’existe peut-être plus, comme d’un héros mythologique.

Avec ses longs-métrages, Corpo céleste 2011, Les Merveilles, (Grand Prix au Festival de Cannes 2014) et Heureux comme Lazzaro (Prix du scénario 2018) et La Chimère en compétition au Festival de Cannes 2023, Alice Rohrwacher fait partie des grandes réalisatrices européennes.

Production : Italie Suisse et France – 130’ avec Josh O’Connor, Carol Duarte, Isabella Rossellini, Vincenzo Nemolato.