Portraits

Elisabeth Duda

Entretien avec Mylène Vignon

Nous nous sommes rencontrées dans le cercle très privé des amis du célèbre affichiste Michal Batory, puis retrouvées dans le groupe des Amazones de la photographe Anna Marchlewska. Elisabeth voyage en permanence entre sa  France natale et sa Pologne d’origine, où elle  joue la comédie et tourne pour le cinéma.

Quelle petite fille étais tu, Elisabeth ?

Côté cour, je pense être aujourd’hui la même petite fille que j’étais jadis, la liberté en poche et les rêves accomplis en plus. Côté jardin, une éducation stricte m’a permis d’aiguiser un certain sens de la grâce (j’ai fait dix ans de danse classique, ce qui n’est pas négligeable) ainsi qu’une révulsion opiniâtre à l’encontre du système scolaire, sans jamais perdre mon humour, ni même mon second degré, ce qui m’a valu le surnom que ma chère grand-tante me donna dès l’âge le plus tendre de oczko śmiejące – l’œil, qui rit . Un sourire qui ne m’a jamais quitté et qui m’a appris qu’on pouvait rire de tout, mais pas avec n’importe qui. En somme, le rapport à l’enfance m’a toujours nourrie, « la belle insouciance… », comme disait François Truffaut, sans doute.

Comment est venue à toi, l’idée de la scène ?

Il s’agirait plutôt de la scène qui est venue à moi ! J’ai toujours été passionnée de photographie et après deux ans de commerce international à Paris, je commençais sérieusement à m’ennuyer. C’est à ce moment précis que j’entendis parler d’une fameuse école de cinéma, renommée dans le monde entier pour sa qualité à former les chefs opérateurs. Je me dis que ce serait une occasion unique de renouer avec mes racines et par le même biais vivre pleinement ma passion. En présentant mon dossier au directeur de l’Ecole de Cinéma de Łódź, feu monsieur Henryk Kluba, celui-ci me recommanda d’user mon énergie débordante FACE à la caméra, avant de passer de l’autre côté, ce pour quoi j’avais encore de nombreuses années devant moi. Je lui répondis que je n’avais jamais fait de scène auparavant et que je ne voyais pas pour quelle raison je pourrais devenir actrice ! – M’enfin, pour devenir la première étrangère au département « comédiens », pardis !

Quel a été ton rôle préféré ?

Ce que je préfère dans le métier d’actrice, c’est le travail en amont du tournage, « le désossement psychologique » du personnage, véritable travail de laboratoire dans le sens empirique et méticuleux du terme. Tel une archéologue, je fouine, m’informe, alimente ma connaissance d’un maximum d’informations, qui pourraient étayer mon jeu et le rendre le plus naturel, le plus vrai possible. Pour interpréter Marie Curie, j’ai tout lu (dans ce qui était disponible à l’époque du tournage !) en trois langues différentes, à savoir livres, lettres, journal intime, discours et archives diverses. Pour le rôle d’Iphigénie en Tauride, j’ai dû nettement approfondir ma connaissance de la mythologie grecque, en m’informant sur une pléiade, c’est le cas de le dire, de mortels, Dieux ou semi-Dieux, avec toute la complexité de leurs histoires respectives. Enfin, pour ce qui est de Magda Janczyk dans  Cours sans te retourner, j’ai longtemps cherché où se cachait la vérité de cette femme et de quelle façon elle était belle. Car Yoram Friedman me parlait souvent d’elle en termes de beauté rayonnante. A quel genre de beauté pouvait donc faire référence un enfant âgé de huit ans, s’échappant du ghetto de Varsovie ? Lorsque je découvris que cette héroïne était tout simplement généreuse, hospitalière et déterminée, c’était gagné ! On ne pense que trop rarement à ces Justes Polonais anonymes, outre les 6992 médaillés de Yad Vashem (et ce chiffre ne cesse d’augmenter), qui ont parfois donné leur vie pour avoir aidé les Juifs.

Et quand on endosse le costume, le reste vient naturellement. C’est le moment d’une sorte de trans… Ainsi, tous les rôles que j’ai eu la chance de jouer ont été magiques ! Mais j’ai tout de même un faible pour ceux qui restent à venir.

As-tu noté une différence entre le public français et le public polonais ?

Tout aussi exigeant en authenticité. Et c’est tant mieux.

À la lecture de ton Wikipedia, il apparaît que tu as remporté plusieurs prix d’interprétation, peux-tu nous en parler ?

Même si j’ai eu la chance de remporter plusieurs prix dramatiques, que ce soit dans le monde du théâtre ou au cinéma, je n’y ai que rarement donné de l’importance. Par ailleurs, je n’oublierai jamais ce qu’a répondu Yoram Friedman à un spectateur qui lui demandait, s’il avait eu des nouvelles de cette femme qui l’avait tant aidé, après l’avant-première de son biopic à Varsovie. Il répondit que non, mais grâce à mon interprétation du personnage, Magda Janczyk serait à jamais vivante dans son cœur. On ne peut rêver meilleure récompense…

Quelles ont été tes plus belles rencontres ?

Je suis de nature communicative, spontanée, culottée et altruiste, alors des belles rencontres, j’en fait et provoque tous les jours… Mais ma discussion avec Martin Scorsese à New York, en le croisant lors d’une cérémonie en hommage à Andrzej Wajda reste à jamais gravée dans ma mémoire.

Vous avez fait la meilleure école du monde, Mademoiselle. C’est un avantage certain !

Tes maîtres ?

Maria Skłodowska-Curie, Gustaw Holoubek, Wojciech Has, Romy Schneider, Isabelle Adjani, Stanislaw Lem, Krzysztof Kieślowski, Wisława Szymborska, El Gréco, Francis Bacon, Albert Camus, Romain Gary, Tadeusz Różewicz, Raymond Aaron, Michel Audiard, Pablo Picasso, André Malraux, La Callas, Czesław Miłosz, Stanley Kubrick, Jérôme Bosch, Puccini, Emile Zola, Léonard de Vinci, Ma Mère, Dieu. Entre autres.

Peux-tu confier une anecdote un peu croustillante à l’oreille de Saisons de Culture ?

Je ne sais pas si c’est une anecdote, mais je souffre de sapiosexualité. J’aime profondément contempler un homme s’exprimer dans une conversation assurée, étayée d’une argumentation affûtée, philosophiquement convaincue, ornée d’humour et de rebondissements inattendus, tel un tableau digne des grands maîtres, un superbe pur sang arabe au galop ou autre chef d’œuvre littéraire, qui vous passionne à chaque verbe. Cependant, les Camus, Aaron et autres parfaits candidats se font rares de nos jours… (hic !)

Quels sont tes projets pour 2020 ?

En mars, je serai en tournage à Nice, sur la fameuse Promenade des Anglais pour un court-métrage, intitulé « Viva la Bella » et réalisé par Viggie. Une rencontre subtile et inoubliable entre deux femmes, qui semblent s’être déjà croisées auparavant … Puis, le mois de septembre sera marqué d’une pierre blanche dans ma carrière d’actrice, car je monte sur les planches parisiennes dans le rôle de Clara dans « Deux sur une balançoire », de William Gibson. Luchino Visconti avait choisi cette pièce sur mesure en 1959 pour Annie Girardot et Jean Marais, puis c’était au tour de Nicole Garcia et Jean-Louis Trintignant en 1986 d’être à l’affiche et enfin à Bernard Murat de réunir Alexandra Lamy et Jean Dujardin en 2006. L’impatience me guette, tant j’ai hâte d’entrer dans la peau de cette danseuse ratée, vivante, débonnaire et presque insouciante. Une fille, qui donne et se donne sans rien attendre en retour. Un jeu dangereux, mais tellement romantique… Surtout quand un avocat au cœur brisé entre en scène ! Je suis très reconnaissante envers Gabriel Szapiro, à qui je ne dirai jamais assez MERCI de m’avoir fait confiance. Quant au trac, il n’a jamais été aussi grand. D’après Sarah Bernard, ce serait très bon signe.

Le mot de la fin?

Après nous, le déluge !