Laetitia Kugler-scénariste, script doctor et directrice littéraire
Entretien avec Mylène Vignon
C’est au café de Flore à Saint-Germain-des-Prés, lors d’une soirée de Florilège organisée par Saisons de Culture, que j’ai rencontré Laetitia, invitée par Sabine Hogrel, également scénariste. Frappée par son dynamisme et son capital sympathie, j’ai alors ressenti le besoin de faire partager son histoire.
Entretien
Chère Laetitia, comment est venu à toi, l’envie de devenir auteure ? Enfant, aimais tu déjà raconter, où te raconter des histoires ?
Au risque de contredire un mythe un peu romantique, je suis devenue autrice (je préfère « autrice » à « auteure ») par un concours de circonstances plus que par vocation.
Enfant j’ai toujours lu. J’ai appris à lire seule, très tôt, et je n’ai plus jamais arrêté de lire depuis. J’ai lu des histoires, beaucoup. Puis, le bac en poche, j’ai fait des études de Lettres modernes qui m’ont appris à analyser les récits, et des études de Cinéma qui m’ont familiarisée avec le fait de raconter des histoires en images et en sons. Je crois que mon envie de raconter des histoires m’est venue par le montage, qui est ma première vocation. Le montage, c’est raconter une histoire, surtout en documentaire, puisque je pratiquais le montage documentaire, avec la matière de quelqu’un d’autre. Les images étant tournées par le réalisateur du film. C’est cette pratique du montage qui m’a profondément donné l’envie de raconter des histoires. Après quelques années de pratique, j’ai vécu un syndrome de l’imposture et je me suis tournée vers l’écriture, un domaine dans lequel je me sentais plus légitime. Dès lors, j’ai commencé à raconter avec des mots. La particularité de l’écriture scénaristique étant qu’on écrit des phrases qui vont devenir des images et des sons.
Comment a débuté ta carrière ? Ton premier travail abouti avec succès ?
Ma carrière dans l’écriture a commencé en travaillant pour les autres, et avec les autres, puisqu’après le montage j’ai travaillé avec des auteurs au développement de leurs projets. D’abord au sein de société de productions, ensuite en free-lance, en tant que script doctor.
Mon travail a porté ses fruits dès que j’ai commencé à travailler, puisqu’en montage j’étais assistante sur des films qui ont vu le jour et qui ont été diffusés, ce qui est très gratifiant.
C’est moins le cas pour ce qui concerne ma carrière dans l’écriture. Quand on monte, les films sont tournés et déjà pour partie ou complètement financés. Sauf contre-ordre, on a donc bon espoir qu’ils soient diffusés ou distribués. Quand on travaille en écriture, on est davantage dans une projection de ce que pourra être le film, s’il trouve les financements et s’il finit par être tourné. Or il y a beaucoup de projets qui, n’étant pas tournés, n’existeront que comme scénario mais pas comme film.
Si j’ai assez rapidement vu le fruit de mon travail de script doctor ou consultante, car on m’appelait pour accompagner des auteurs sur des projets d’écriture qui avaient de grandes chances de se réaliser, voire dont le tournage était imminent, dans mon travail de scénariste ça a été plus long. Mais la satisfaction de voir aboutir un de ses projets est d’autant plus forte que c’est finalement assez rare, et qu’on porte l’idée depuis son origine.
Beaucoup de scénaristes travaillent en binômes, si c’est le cas pour toi, peux-tu nous en expliquer le fonctionnement, l’intérêt ?
Un certain nombre de scénaristes fonctionnent en binôme, oui. Effectivement, c’est mon cas. D’abord parce que j’ai toujours eu l’habitude de travailler en collaboration : avec un réalisateur, en montage, avec un ou des scénaristes lorsque je suis consultante ou directrice d’écriture. C’est donc naturellement que j’envisage l’écriture comme un métier collectif, parce qu’écrire seule ne m’intéresse pas beaucoup. C’est la rencontre autour d’un projet et l’effort collectif qui me stimule. Par ailleurs, deux cerveaux valent mieux qu’un pour trouver des idées, les mettre à l’épreuve, les corriger ou les retoquer, les écrire.
Quelles ont été tes rencontres les plus mémorables ?
Étant donné que je ne hiérarchise pas mes collaborateurs, mes interlocuteurs, j’ai du mal à faire ressortir des expériences. Chaque rencontre autour d’un projet est finalement assez mémorable, et ce même si on a déjà travaillé avec l’auteur ou l’autrice. Les rencontres avec certaines personnes, que ce soient des professeurs d’université pendant mes études, des réalisateurs ou des scénaristes au cours de ma carrière, m’ont plus marquée que d’autres, c’est vrai. Pas forcément parce que les gens étaient connus ou reconnus, mais plutôt pour la qualité de la relation humaine et de l’expérience vécue ensemble.
Quelles sont tes principales parutions à l’écran ?
Mademoiselle Holmes, série co-créée avec Victoria Spennato, diffusée sur TF1 en 2024.
Marion, série co-créée et co-écrite avec Jacques, Kluger et Danielle Thiery, diffusée sur 13ème Rue en 2023.
Reconquérir l’école, documentaire co-écrit avec Emmanuel Segaut, diffusé sur LCN en 2021.
Gogo, long-métrage documentaire co-écrit avec Pascal Plisson, sorti au cinéma en 2019.
Peux-tu nous renseigner sur la direction littéraire, comment parvient-on à cette discipline ?
La direction littéraire, c’est l’accompagnement d’auteurs dans l’écriture, plus particulièrement de séries ou d’unitaires TV (ce que l’on appelait autrefois « téléfilms »). Le directeur littéraire ou la directrice littéraire travaille soit pour une société de production, donc sur plusieurs projets développés par la société, soit sur un projet en particulier, quand une convention de développement est signée avec une chaîne, soit en free-lance pour accompagner des auteurs qui n’ont pas encore trouvé de société de productions mais qui souhaitent être accompagnés. Faire de la direction littéraire c’est être l’intermédiaire entre les auteurs, les producteurs et les diffuseurs, et assurer une cohérence artistique à l’écriture de l’œuvre.
Je te sais maman d’un petit garçon, Ferdinand. La maternité a-t-elle changé quelque chose dans ta carrière ? L’arrivée d’un enfant marque vraisemblablement une étape dans la vie, peux-tu nous en parler ?
La naissance de mon fils, a d’abord changé le rapport que j’avais avec mon travail. Je travaillais énormément, je ne prenais jamais de vacances, et sa naissance a profondément modifié mes priorités. Mon travail est passé en second, après lui. J’avoue que je suis déjà assez passionnée par la psychologie, pour la création des personnages, mais le fait de me documenter sur les nouveau-nés, les apprentissages de l’enfant, etc., m’a absolument happée.
La naissance de Ferdinand n’a pas modifié ma manière d’appréhender l’écriture, en revanche il y a des thématiques que je ne peux plus traiter pour le moment : la maltraitance des enfants par exemple. Je suis beaucoup plus sensible à tout ce qui touche à l’enfance et à sa représentation.
Quelles sont les contraintes de ton métier ?
Il me semble que ce métier impose plus de pressions que de contraintes. Car je m’accommode assez bien des contraintes. Que ce soient des contraintes de temps imparti pour travailler, des contraintes de collaboration, ou encore des contraintes de format ou de commande.
Ce qui me pèse, en revanche, ce sont les différentes pressions que l’on peut subir, comme scénariste, et les efforts de résistance qui en découlent : la pression de ne pas savoir si on va pouvoir vivre de son métier, car il est mal considéré et mal payé, la pression de renvoyer une mauvaise image sous prétexte qu’on veut être traité et payé correctement. La pression des producteurs qui sont peu sûrs d’eux, et qui répercutent leur stress de ne pas plaire aux diffuseurs ou aux distributeurs sur les auteurs.
Si c’était à refaire, que changerais tu dans ta vie ?
J’aurais aimé pouvoir enrayer le syndrome de l’imposture qui a fait que j’ai arrêté le montage. Car le montage était, je crois, ma vraie vocation. Quinze ans après, et même si je prends beaucoup de plaisir à écrire, cela me manque toujours.
J’aurais aussi aimé réaliser plutôt que le fait d’avoir un enfant n’est pas un frein mais un booster, et que c’est sans doute une des expériences les plus difficiles mais les plus enrichissantes au monde.
Un projet, une envie pour les mois à venir ?
J’espère pouvoir continuer à faire ce que je fais dans de bonnes conditions. Choisir mes projets et mes collaborations, sans avoir trop de mauvaises expériences.
Pourquoi pas aussi reprendre des études de psychologie. Car c’est en fait pour cela que j’écris : pour essayer de comprendre et de restituer la complexité de l’esprit et des sentiments humains.