Portraits

Ma naissance au jazz

l'entretien avec Michel Contat par Mylène Vignon

Après une longue et brillante carrière au Monde et à Télérama, Michel Contat est depuis deux ans le chroniqueur Jazz de Saisons de Culture. Aujourd’hui, il nous fait l’amitié de ces confidences.

Cher Michel Contat, à quel moment vous le Jazz est-il arrivé dans votre vie ?

J’avais quinze ans quand je suis né au jazz, et le jazz lui-même avait moins d’un demi-siècle. Selon moi, il était né en tant que grande musique classique noire américaine le 26 février 1926 avec l’enregistrement par Louis Armstrong de Cornet Chop Suey dans un studio d’Okeh à Chicago. Un morceau de seize mesures en fa, avec stop chorus, de Louis à la trompette. Ses compagnons sont Johnny Dodds à la clarinette, Kid Ory au trombone, Lil Hardin, sa femme, au piano, Johnny St Cyr au banjo, mais c’est lui qui joue tout au long, à part un solo de piano. La subtilité rythmique, la sûreté d’émission, l’invention mélodique restent aujourd’hui aussi novatrices qu’un solo bebop de Charlie Parker. C’est le jazz à son plus haut degré de joie pure et de beauté. Hugues Panassié, pape du jazz traditionnel, en avait fait dans les années 50 l’indicatif de son émission hebdomadaire de radio. Grâce à lui ceux qui aimaient le jazz avaient, imprimée dans leur mémoire, l’improvisation géniale de Louis Armstrong, un jeune homme de vingt-cinq ans qui inventait la musique du siècle.

Quelles furent vos principales sources de Culture en matière de Jazz ?

Pour moi, lausannois, les autres sources de culture étaient l’émission de Raymond Colbert Swing Serenade sur la Radio Romande et celle de The Voice of America, à minuit sur ondes courtes, avec Willis Connover speaking from Washington DC et l’indicatif Take the A Train de Duke Ellington. Je commençai ma collection de disques avec mon ami d’enfance Luc Chessex, futur photographe de renom, par l’achat des Hot Five et Hot Seven de Louis Armstrong, pour qui nous éprouvions une vénération sans bornes. Nous eûmes la chance de pouvoir l’écouter avec son All Stars dans la salle du Métropole, en 1954 ou 1955, et nous allâmes le saluer au Lausanne Palace où il nous accueillit avec bonhomie et générosité, nous invitant à venir l’écouter le soir-même à Bienne. On ne pouvait naître plus heureusement au jazz.

Vous-même, jouez – vous d’un instrument ?

J’appris à jouer de la clarinette, nous formâmes avec Luc le Barrel House Jazz Band et nous ne tardâmes pas à animer des bals d’étudiants. Plus tard, après un concert incendiaire de Lionel Hampton, je passai au saxophone ténor et devins bopper,  grâce au trompettiste Serge Wintsch qui me recruta dans son quintette, et à Michel Thévoz, excellent guitariste qui devint mon mentor pas seulement pour le jazz.

Que représente pour vous cette musique ?

Le jazz était notre musique, non adultérée, la musique de l’insurrection et de la liberté, puisqu’il était fondé sur l’improvisation. Il gardait aussi de tout racisme. Ce fut une chance inouïe de le découvrir quand il était encore au plus vif de sa créativité. Avec Sonny Rollins, Stan Getz, le Jazz Messengers d’Art Blakey, nous l’entendions comme une invitation à la vie.